lundi 18 juin 2012

Grand classique



Si un jour vous voyez ce film, Le grand sommeil (au moins la première partie), vous comprendrez ce que peut faire de ce genre d'histoire un metteur en scène qui a le sens de l'atmosphère, et la touche voulue de sadisme discret. Bogart, bien sûr, est très supérieur à tous les autres durs du cinéma: à côté de lui les Ladd et les Powell ont l'air de pauvres cloches. Comme on dit ici, Bogart sait être dur même sans revolver. De plus, il a ce sens de l'humour avec un sous-entendu grinçant de mépris.
Ladd est dur, amer, parfois charmant, mais au bout du compte, c'est l'idée qu'un petit garçon se fait d'un dur. Bogart, c'est l'article extra. Comme Edward G.Robinson, tout ce qu'il lui faut pour dominer une scène, c'est d'y être.
Il y avait aussi une scène merveilleuse dont nous avions discuté ensemble. A la fin du film Ogart et Carmen se faisaient pincer dans la maison de Geiger par Eddie Mars et ses tueurs. Bogart (Marlowe) est coincé là, la fille s'amène et les autres la laissent entrer.
Marlowe sait qu'elle a commis un meurtre et il sait également que la première personne à franchir la porte va se retrouver au milieu d'une grêle de balles de mitraillette. Mais la fille ne le sait pas.
Marlowe sait en plus que s'il envoie la fille se faire tuer, le gang va se tailler, et lui laisser la vie sauve pour le moment. Mais il n'a pas envie de jouer le rôle du Bon Dieu ou de sauver sa propre peau en laissant Carmen sortir. Ni de jouer le rôle de Sir Philip Sydney en sauvant la vie d'une petite salope. Alors il décide de jouer ça à pile ou face, comme ça le Bon Dieu en question décidera.
Mais avant de lancer sa pièce en l'air il fait à haute voix une sorte de petite prière, pour dire que somme toute il a fait de son mieux, et que ce n'est pas de sa faute s'il se retrouve dans cette position, où il doit prendre une décision que Dieu n'avait aucun droit de lui imposer. Il aurait voulu que la décision soit prise par l'autorité qui avait permis à un tel bordel d'arriver. Si c'est face il laissera la fille partir. Il lance la pièce, c'est face. La fille croit que c'est un truc pour la livrer à la police. Elle s'approche de la porte. A la dernière seconde, elle a déjà la main sur la poignée, Marlowe faiblit et veut la retenir. Elle lui rit au nez et le met en joue avec un revolver, avant d'entrouvrir la porte de trois ou quatre centimètres. On voit qu'elle va tirer sur lui et qu'elle est toute ravie de cette situation. A ce moment, une rafale de mitraillette traverse le panneau de la porte et déchiquette la fille. Les tueurs à l'extérieur ont entendu une sirène au loin, pris de panique ils ont lancé une rafale comme carte de visite -mais sans penser atteindre quelqu'un. Je ne sais pas ce que l'on a fait de cette scène. Les gars n'ont peut-être pas voulu ou pas su l'écrire. Ou alors c'est Mr. Bogart qui n'a pas voulu la jouer. A Hollywood, on ne sait Jamais.
Tout ce que je sais c'est que c'est un truc à vous faire dresser les cheveux sur la tête. Faudra que j'essaye un jour.
Raymond Chandler  (Lettres-10/18)

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