lundi 24 septembre 2012

Shocker



En 2007 les patrons de  Gregory Hoblit (formé à l'école de la série TV, ce qui lui donne une capacité professionnelle minimale, tout comme les réalisateurs de pubs) lui donnent la possibilité de réaliser un bon petit shocker. Les clauses du contrat sont les suivantes :

a) notre bon public doit absolument avoir peur (c'est essentiel pour les vendeurs de pop-corn et pour l'industrie toujours florissante des mouchoirs en papier.)

b) nous devons nous en mettre plein les fouilles (c'est primordial pour notre industrie)

c) nous ne voulons pas d'un film d'intellectuel

d) Rappelez-vous bien que nous devons toucher le paquet (cette clause est suspensive)

Après avoir apposé sa signature au bas du document, notre  héros se rend dans l'atelier pour pointer le matériel pendant que son secrétaire particulier se lance dans la lecture du script.
Le synopsis du film qui s'appellera " Fracture" (la Faille in French)  donne à peu près ceci :         " Lorsque Ted Crawford apprend que sa jeune épouse le trompe, il décide de la tuer à leur domicile, en lui tirant une balle dans la tête à bout portant. Alertée par leurs jardiniers, la police boucle le secteur et l'inspecteur Rob Nunally, négociateur, va à la rencontre de Crawford. Crawford reconnaît les faits et l'inspecteur découvre avec horreur que la victime est la femme avec qui il entretenait secrètement une liaison.
Arrêté, Crawford décide de se défendre lui-même à son procès. Il fait face à William Beachum, un jeune procureur adjoint ambitieux sur le point d'intégrer un prestigieux cabinet d'avocats. L'affaire, apparemment simple, s'avère en réalité pleine de rebondissements. Car Crawford a savamment préparé son coup et il va jouer avec les particularités du système judiciaire américain pour se faire acquitter..."
Lorsqu'il revient de l'atelier, Hoblit commande deux expressos avec un nuage de lait et s'adresse à son subalterne avec cette pointe d'ironie qui plaît tant aux subalternes.
-Alors, mec, t'as fini ton job? demande-t-il.
-C'est du tout cuit, boss, répond le jeune assistant en versant le sucre dans les deux expressos.
Puis, devant l'équipe au grand complet, le chef explique qu'un bon polar est automatiquement sombre. Répondant à l'inquiétude d'un  assistant-éclairagiste du Montana en stage de ré-insertion,
le chef précise que le genre exige un éclairage minimum, des zone d'ombre partout, juste colorées çà et là par des petits ruisseaux de sang. Le type du Montana est rassuré.
Le lendemain, autre bonne nouvelle : le casting s'annonce prometteur. Le rôle du méchant sera joué par Anthony Hopkins et celui du mignon procureur par Ryan Gosling.
Même si le vieux Hopkins a refusé de conserver son masque de cuir pour le film, Hoblit décide de faire un maximum de plans serrés sur ce qui  reste de chicot dans la bouche du monstre, avec seulement quelques petits flashs sur ses yeux sanguins. L'équipe applaudit.
Pour Gosling, c'est un peu plus simple ; plans rapprochés et cadres furtifs sur les pectoraux. Le mignon va aussi vivre une histoire d'amour avec une jeune blondasse, alors, les gars, vous voyez ce que je veux dire...
Un cadreur de l'Arizona se pourlèche déjà les babines.
Ensuite, Hoblit tape sur l'épaule de son directeur artistique (ce geste de franche camaraderie plaît beaucoup aux directeurs artistiques) et lui demande de commander au plus vite deux bonnes heures de nappe musicale, indispensable pour bien faire prendre la sauce (ce genre d'expression plaît aussi  beaucoup aux directeurs artistiques).
L'auteur-réalisateur finit sa longue journée dans les sous-sol climatisés de l'usine à rêves où il regarde, attendri, son équipe de monteurs superviser la mise en route de la vingtaine d'ordinateurs nécessaires à la bonne marche de son oeuvre. 
Ensuite, il va s'acheter une casquette de base-ball et un parka avec col de fourrure.
Le film s'annonce plutôt bien. Hoblit est satisfait. En rentrant chez lui, il visionne "Un homme et une femme" de Claude Lelouch. 
Quelques années plus tard, en Europe, le téléspectateur éteint son poste. Il baille. Il est grand temps d'aller se coucher. Demain le réveil sonnera à 6 heures.
Julius Marx

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