jeudi 28 novembre 2013

Un honnête homme




Dans La vie d'un honnête homme de Sacha Guitry (1953) il est question de coeur et de lutte des classes.

Albert et Alain Ménard-Lacoste sont frères jumeaux. Le premier a réussi dans la vie : il est devenu un bourgeois riche et respectable mais, évidemment méprisé de tous. Le second a réussi sa vie. Pauvre, mais riche de souvenir et entouré d'amis: le bougre ne regrette rien! A la mort subite d'Alain, malade du coeur, Albert a l'idée saugrenue de changer de peau et donc de vie. Plongé dans l'intimité des masses laborieuses, le patron va connaître la solidarité, l'entraide, le partage. Il comprend que pour recevoir ; il faut donner. Ce conte de la bourgeoisie pourrait faire sourire si le texte poétique n'avait le malin pouvoir de transformer le vaudeville en drame marxiste populaire.

Devenu l'autre, le bourgeois double le salaire des ouvriers de ses usines, déshérite sa femme et sa fille et expédie son rejeton au turbin!

Côté narration, il faut reconnaître que Guitry avait déjà inventé le Point of View ( la vision si vous préférez) omniscient. Il se place délibérément au-dessus et dénoue lui-même les fils du récit en intervenant même par la voix quand l'action le demande. C'est bien lui, et lui seul, qui a le premier et le dernier mot d'une histoire qui lui appartient totalement.

On peut seulement regretter que le Maître,qui avait déjà manifestement compris pas mal de choses sur l'industrie cinématographique, n'ai pas pu (ou voulu) profiter un peu plus du pouvoir de l'image. Bref,à l'étonnante maîtrise de la narration et à la perfection de la direction d'acteur, il manque parfois un vrai beau gros plan ou un travelling, par exemple, dans la scène de fin de La vie d'un honnête homme, lorsque Albert disparaît dans la nuit pour ne plus jamais revenir.
Il y a aussi dans le film une très belle chanson chantée par Mouloudji dont voici les paroles :


La vie est une douche écossaise
Et ça dit bien ce que ça veut dire
Sitôt qu'une chose vous fait plaisir
Faut qu'il y en ait une qui vous déplaise !
Mais bien que ce soit à mon avis
Comme une espèce de complot
On ne peut pas passer sa vie à s'foutre à l'eau.

Le mardi soir une femme vous aime
Le mercredi elle ne vous aime plus
Quand a savoir ce qui lui a déplu
Elle n'en sait rien sans doute elle-même
Mais bien qu'elles soient toutes des girouettes
Et que nous soyons tous des nigauds
On ne peut pas passer sa vie à s'foutre à l'eau.

Y a les amis, y a la famille
Mais faut pas en avoir besoin
Quand aux copains dès qu'on est loin
Sont les premiers qui vous torpillent
Mais bien qu'il y ait tant de méchants
Qui vous envient et de salauds
On ne peut pas passer sa vie à s'foutre à l'eau.

Et plus que les autres, il y a soi-même
Sur qui on ne peut guère compter
Et l'on finit par récolter
Toutes les sottises que l'on sème
Mais bien qu'on soit son pire ennemi
Dégoûté de soi et de son lot
On ne peut pas passer sa vie à s'foutre à l'eau
à s'foutre à l'eau.



Et après çà, comment pourriez-vous me mépriser?
Julius Marx

dimanche 24 novembre 2013

Cause toujours... tu m'interresses

En "hommage", un article de l'année dernière.

Il fait froid.
Le petit lopin de nature à côté de chez vous ressemble au Sud-Vietnam après que l'oncle Sam a balançé son  agent Orange. Votre femme n'est pas encore rentrée de son séminaire bouddhiste  " Avancer sur la voie de la délivrance". Vous avez pris la précaution de sortir le chien pendant le 2O heures et le fils révise sagement ses devoirs.
Rien d'autre à faire que de se taper le film du dimanche soir sur France 2.
Pour cette soirée la chaîne de la culture a choisi de ressortir  un vieux truc en noir et blanc, histoire de faire un peu d'Audimat. On pourrait d'ailleurs se demander pourquoi ces distingués serviteurs de l'Etat et de l'exception culturelle française n'ont pas opté pour l'une de ces productions  subventionnées avec vôtre redevance. Mais, ne cherchons pas le mal partout et asseyons-nous plutôt dans vôtre canapé Ikéa.
Vous regardez donc Les tontons flingueurs du gentil organisateur Lautner.
Mal foutu, mal cadré (quelquefois même tremblotant, si... si) mais, tellement pittoresque.
Le coup de génie du film, ce n'est pas son scénario hésitant et brouillon, ni son unique thème musical développé à l'extrême, mais bien ses personnages.
Ces gentils gangsters, arrières grands-parents de Tony Montana, qui , foulant des deux pieds le code de déontologie  de leur profession , n'hésitent pas à  déblatérer, vitupérer, fulminer ou invectiver.
Et les porte-flingues, les demi-sel ou les caïds de balancer  thèses , synthèses anti-thèses et conclusions comme des immortels du Quai  Conti ou des sommités de la Sorbonne.
C'est bien cet évident  décalage qui surprend dans un premier temps et qui finit par provoquer l'hilarité tant il est anachronique.
Personne ne venant jamais s'interposer pour leur demander de penser un peu plus à l'action et moins à la parlotte,  les bavards remettent même plusieurs couches d'un épais crépi sur l'édifice.
Qu'importe, on se poile, et c'est bien là l'essentiel. Et puis, le noir et blanc, c'est l'époque de l'unique chaîne, de Madame Mado, du carré blanc, des speakerines à fortes poitrines et choucroutes capillaires, un monde sans exception culturelle, sans ordinateurs, sans problèmes de couples, sans violoncelles !
Allons bon, voilà votre moitié qui revient de son séminaire !
Alors, qu'allez-vous lui répondre lorsqu'elle posera la sempiternelle question : "tu regardes encore ce film?"
Comment lui expliquer ?
Surtout, ne changez pas de chaîne. Ne faites pas semblant de regarder le débat sur les chances d'un compromis à l'UMP...Assumez !
Il vaut mieux passer pour un nostalgique que pour un con.
Julius Marx