lundi 24 mars 2014

Avec le temps (2)



On le sait, la fonction de la télévision est de communiquer seulement ce qui est familier. Pourtant, nous qui vivons sous d'autres latitudes et possédons décodeurs chinois et paraboles apatrides, avons le loisir de visionner sur des chaines francophones quelques films ressortis d'on ne sait quels placards. Même si le vent reste le maître du jeu en décidant, la nuit tombée, de martyriser notre matériel en l'envoyant visiter les quatre coins de la terrasse, nous pouvons nous intéresser depuis plusieurs semaines (avec la ténacité qui nous caractérise) à un cycle de films civiques des années 80. A l'évidence, la plupart de ces produits aux images bâclées et au sens univoque  ne méritaient pas d'être dépoussiérés, pourtant, nous visionnons, alors, pourquoi : lassitude, dépit, nostalgie, sénilité peut-être?
Le premier de la liste est Le juge Fayard dit le shérif d'Yves Boisset. Je me souviens qu'à cette époque on avouait volontiers au cours d'une petite sauterie et  avec un gobelet de sangria dans la main "je suis allé voir un Boisset". Généralement, cette petite phrase anodine ne manquait pas de provoquer quelques remous. La maîtresse de maison regrettait aussitôt de vous avoir invité et rejoignait sa cuisine en pleurnichant tandis que son cadre de mari expliquait l'utilité les mesures fortes du tout nouveau ministre de l'intérieur. Aujourd'hui, nous buvons des coktails vodka/ fruits rouges et nous savons que ces  films sensés traiter de "grands sujets" ne contenaient pas plus de réflexion que disons, le journal de France 2 aujourd'hui. L'intrigue du Juge, c'est un peu comme le Titanic, il y a les bons et les méchants, et puis, surtout, on connait la fin. Mais, le Juge est beaucoup moins long, moins nappé de confiture musicale, et il est joué par Patrick Dewaere.
Pour Un papillon sur l'épaule de Jacques Deray, c'est autre chose  et pour tout dire, une véritable énigme. Comment deux scénaristes comme Jean-Claude Carrière et Tonino Guerra sont parvenu à pondre un script aussi peu abouti? Jean-claude passe encore mais Tonino, le Tonino de Fellini !
Voilà notre personnage principal qui fait escale à Barcelone et qui se retrouve interné dans une clinique suite à un malheureux  quiproquo. Mais, pour son malheur (et le nôtre) cet homme ne s'appelle pas Kaplan.  Le Kaplan de North by Northwest dont on sait tout, ou presque, avant qu'il ne soit enlevé par deux individus armés. Dans North , nous sommes au coeur de la machination. C'est un peu comme si nous prenions part, nous aussi à la quête de vérité du personnage. Pour notre papillon, l'auteur (ou les auteurs) prend soin de nous tenir en-dehors au nom de je ne sais quel credo, quel dogme. Résultat, personne ne croit, pas même le principal intéressé, à cette foutue machination.
Dans La raison d'état , le cinéaste André Cayatte fait preuve de la même niaiserie. Ici, les méchants sont des politiques qui vendent des armes à d'autres méchants. Ce brûlot politique sensé dénoncer l'odieux trafic reste totalement dépourvu de réflexion. Il n'est  qu'un petit feu de camp autour duquel s'agite le  populaire et capable Jean Yanne.  Au moins, pendant ce temps-là trouvons-nous le plaisir intense d'admirer, de chérir, la déesse Monica Vitti. Nous oublions sur le champ les trublions qui gravitent autour de l'astre pour tenter de comprendre, une fois encore,  le truc  du "je ne suis pas tout à fait là".
Le reste est vain, inutile.
Le vent se lève.
Julius Marx

lundi 17 mars 2014

Remake



Avec son Wolf of Wall Street (Le Loup de Wall Street) Martin Scorsese nous offre le remake de son Goodfellas (Les affranchis) sorti en 1990.
Si l'intrigue des deux films est sensiblement la même ( un gosse de la rue, fasciné par le pouvoir de la mafia, finit par entrer dans l' organisation criminelle. Après l'apprentissage, c'est la  période faste de sa vie . Puis, viennent les ennuis et la prison. Il s'en sort en devenant indicateur pour les flics et finit son voyage dans un minable pavillon de banlieue ) les lieux différent. Mais, sont-ils vraiment si différents ?
 La Mafia et le monde de la Finance sont deux organisations avec des hiérarchies et des règles strictes, même si ces règles, comme toutes les règles, ne sont faites que pour être transgressées (dixit Flaubert).
Dans les deux versions, le jeune novice apprend donc les us et coutumes de la grande maison grâce à un  ancien, un maître chargé de l'initier. Ensuite, il aura le droit, lui aussi, de braver certains interdits et même de péter carrément les plombs. L'objectif commun reste de faire du cash et rien que du cash, et qu'importe les cadavres dans le coffre ou les petits épargnants qui se jette par la fenêtre.
Puis, vient le jour ou les épouses parfaites décident de partir avec les gosses ( c'est assez frappant de constater que les magnifiques scènes de ménage des deux films sont quasi identiques) suivies de très près par les avocats qui choisissent d'ôter leur ceintures et de descendre avant l'arrêt complet.
Enfin, lorsque ceux qui dictent les règles (banquiers ou parrains) décident que le jeu est terminé, on change de joueurs, on redistribue  les cartes et on imprime de nouvelles règles, de nouveaux billets de Monopoly. Les nantis désignent les poulets (qui, on le sait, ont pour mission première de faire respecter l'ordre du droit) pour se charger de la besogne. Si les  joueurs ont "la chance" d'être encore vivants, ils sont ré-expédies dans le monde d'en bas, avec ceux de leur classe.
Filmer ce jeu de société incroyablement pourri et malsain pendant plus de trois heures relevait du défi.
C'est terriblement féroce, mais il s'agit bien de notre monde mon cher monsieur et s'il ne vous plaît pas, vous avez toujours la possibilité de tirer une carte chance,mais sans la possibilité de repasser par la case départ, bien entendu .
Je vous quitte, mes amis ont besoin d'un quatrième pour la belote.
Julius Marx


dimanche 16 mars 2014

Histoire de parler


Elle : Si vous restez avec le capitaine, vous verrez bien quand il sera malheureux.
Lui : Oui, les gens malheureux savent toujours quand les autres sont malheureux.
        Sinon, ça serait  malheureux.

Le dialogue, dans le cinéma d'aujourd'hui, est une des disciplines qui m'attriste le plus. Lui aussi a bien entendu été contaminé par l'épidémie de réalisme que nous subissons depuis tant d'années. Dans un premier temps, avant de râler, tentons de définir le dialogue dans sa fonction. Vient-il, au secours de l'intrigue quand les faits sont impossibles à traduire en image, sert-il à tenir informé le spectateur en lui révélant, par exemple, que le personnage principal a attrapé la varicelle ou les oreillons à un âge avancé, ou alors, est-il simplement écrit  pour le plaisir des mots et de la langue? Et bien, chers amis, le dialogue est un peu tout cela à la fois. Vous comprendrez alors un peu mieux, je pense, pourquoi ce travail méthodique, rigoureux et poétique (non, ce n'est pas antinomique) manque aujourd'hui cruellement de têtes pensantes.
Dans le cinéma dit populaire, les auteurs se contentent de pondre quelques bonnes répliques, généralement reprise dans la bande annonce du film, puis complètent les cases manquantes avec un bavardage pauvre, ré-haussé d'une bonne dose de vulgarité.
Dans le cinéma pour auteurs subventionnés, le dialogue survit comme il peut, noyé dans une bande son violoncelle / bruits  ambiants de la rue  et sifflements stridents d'appareils ménagers. Dans ces chefs- d'oeuvres de réalisme, il n'est pas rare d'entendre, par exemple, le personnage décrire lui-même le lieu dans lequel il se retrouve, dans un soucis évident de clarté et de transparence. Ainsi, à l'homme debout sur le trottoir, devant la porte d'entrée d'une école primaire ( frontispice clairement visible dans le cadre) et au milieu de groupes d'enfants, la femme demande:" pourquoi est-tu venu nous chercher à l'école? "
Le "bon mot" et le monologue intérieur ne sont que des solutions de facilité. Le dialogue, dans un premier temps, se doit d'être informatif. Autrement dit, si tu n'as rien de nouveau à nous apprendre: ferme-la. Puis, une fois l'information donnée, il peut se laisser aller à un développement et une conclusion poétiques et, pourquoi pas, jubilatoire. Bien entendu, les paroles échangées par les différents personnages d'une fiction ne peuvent en aucun cas être assimilées à des conversations réelles.
Alors, poésie ou réalité, tout n'est qu'affaire de dosage.
Enfin, dans la plupart des films proposés aujourd'hui, relevons aussi l'uniformisation du langage. L'homme du peuple s'exprime comme le bourgeois, la femme de ménage espagnole, comme le banquier suisse (ou alors, leur texte, caricaturé à l'extrême, frise la xénophobie) et l'étudiant en troisième année de droit, comme un footballeur du bassin minier.
C'est que, justement, le dialogue a aussi comme fonction de caractériser le personnage. Revisionnez la plupart des scènes de la première séquence de La grande Illusion, notamment  les scènes de repas. Si vous n'arrivez pas à situer facilement les différents protagonistes, c'est que ma tante s'appelle mon oncle. En travaillant cette fonction particulière et efficace du dialogue on peut aussi inventer d'autres langues, comme la désormais célèbre novlangue d'Oranges mécaniques pour le personnage d'Alex et ses sbires.
Il est grand temps de couper, car voyez-vous, pour atteindre son but, le dialogue se doit aussi d'être bref et concis.
Fermez les guillemets.
Julius Marx
Image : Fernand Ledoux et Michèle Morgan dans Remorques (Jean Grémillon 1941)
Dialogue de Jacques Prévert.

jeudi 13 mars 2014

Nostalgie




-Tu m'en veux?
-Non. Toutes les femmes ont des défaillances, des moments de cafard, des petits siroccos personnels.
Annabella/ Jouvet
(Henri Jeanson-Hotel du Nord)







-Moi, mon rêve, c'est de dormir dans des draps blancs.
-Arrêtes de rêver, tu vas te casser la gueule.
Gabin/Aimos
(Jacques Prévert -Le Quai des Brumes)