mercredi 4 juin 2014

Les grands espaces



Je suis un type très simple né dans une famille modeste. Chez nous, pas d'ancêtre cap-hornier ni de cousine qui s'est marié un dimanche à Bamako(1). Adolescent, j'étais tout de même assez fier d'avoir un grand-père démineur sur les plages de Normandie, quelques années seulement après avoir été gazé par les troupes du Kaiser en 14, et un oncle qui ressemblait à Frank Sinatra. Tout ceci est largement suffisant, il me semble pour affirmer ici que j'admire profondément le cinéma classique des grands espaces au détriment des pénibles représentations réalistes.
Parlons donc sans dévoiler l'intrigue, sans employer de poncifs ni de formule simpliste et insultante comme "le roi du mélo-populoDes Neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian.
A une époque où les  produits sans contenu s'empilent sur les têtes de gondole, cet homme nous propose un cinéma mélodramatique, inventif et diablement positif. Maître du jeu, aux hommes et femmes de sa troupe , il distribue (à chaque nouveau film) les rôles de Roi, Reine, cavalier, tour ou simple pion. C'est à dire que la matière première de cet auteur  reste le personnage. Des personnages qui s'affrontent dans des scènes où le réalisateur leur laisse largement le temps de s'engueuler, de s'aimer ou de rire. Ici, voyez-vous, on ne coupe jamais dans l'émotion ( même si le montage, particulièrement dans ce film-ci, est nerveux) et il m'arrive bien souvent de verser une petite larme.
Il me faut signaler également l'effort tout particulier de l'image ( les extérieur-nuit sont dignes d'un bon  film noir).
Bref, avec Robert Guédiguian nous devenons tous élégants et c'est foutrement jouissif.
Puisque nous parlons cinéma et que nous venons d'évoquer le positif, ajoutons quelques mots du négatif ( cette boutade n'ajoute absolument rien au contenu de cet article d'une haute tenue, mais elle suffit à me faire glousser de plaisir.)
Pour son film Michael Kohlhaas le cinéaste Arnaud des Pallières adapte le roman éponyme d'Heinrich Von Kleist.  Il choisit de transposer l'histoire en France, dans les Cévennes,  au 16 ème siècle et de délaisser (nous informe les spécialistes) le côté mystique de l'oeuvre.
Au fil des scènes, nous cherchons avec obstination le mélodrame sans jamais mettre la main dessus, c'est triste. Nous éprouvons beaucoup de mal également à dénicher les personnages qui se planquent dans les coins sombres ( pendant  les scènes de combat, on se demande souvent qui vient d'être égorgé ou embroché) avant d'être subitement aveuglés par ce foutu rayon de soleil dans l'objectif.
Oui, mais les grands espaces, me direz-vous. Justement Zamis lecteurs, j'ai trop souvent la désagréable impression d'être enfermé dehors, comme dit l'autre. Un autre spécialiste du journal Le Monde remarque "la puissance de la scène initiale, dans laquelle des cavaliers chevauchant sur une lande pierreuse" en se disant que le réalisateur" va nous entraîner sur la voie étroite (?) d'un western cévenol, quelque part entre Anthony Mann et John Ford." Mon Dieu !
Le vent se lève. J'ai la tête qui tourne.
Coupez!
Julius Marx


(1) En réalité, toute la famille résidait au Burkina-faso.