samedi 28 novembre 2015

Cahiers (de cinéma)



Pour l’amateur de  choses filmées, il est essentiel de visionner le plus souvent possible ces films que l’on nomme communément avec indulgence « navets » ou « nanars ». Ainsi, l’amateur pourra comprendre en détaillant avec attention ces productions qui, selon l’expression consacrée, n’appartiennent pas à la postérité, ce qui sépare un réalisateur d’un modeste artisan. En choisissant par exemple dans la ribambelle de films noirs des années cinquante disponibles sur Youtoube, il constatera que le personnage principal n’a jamais de réelle motivation, je veux dire de motivation profonde qui le pousse à agir. Il en déduira facilement que c’est en partie pour cette raison que, ne pouvant s’identifier à la quête du personnage, il l’abandonnera sans aucun remord. Même s’il n’est pas un spécialiste de la technique cinématographique, il s’amusera également des choix surprenants des différents responsables de l’image et du cadre. Enfin, il se permettra un sourire (pouvant même se transformer quelquefois en franche rigolade) en découvrant de magnifiques erreurs de casting. S’il est vrai que toutes ces petites choses sont encore bien présentes dans le cinéma d’aujourd’hui, elles sont en partie  habilement camouflées grâce au travail des ordinateurs-friends et aux différentes cagnottes généreusement versées par l’industrie culturelle. Enfin, après ce nécessaire et salutaire moment de distraction, il pourra répondre à son épouse qui lui demandera « pourquoi tu regardes ce truc ? » qu’il n’existe pas de film sans contenu.
                                                                      
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 Roman Polanski doit être un des derniers grands réalisateurs vivants. Cette simple constatation devrait nous pousser à regarder au plus vite l’ensemble de ses films et ses dernières productions, histoire de se souvenir des belles choses. La Vénus à la fourrure, débute par un plan subjectif  d’une rue parisienne bordée d’arbres puis nous entrons dans un théâtre pour ne plus en ressortir. Inutile de raconter l’intrigue du film puisque vous allez le visionner aussitôt ces quelques lignes achevées. Sachez seulement que la première partie nous offre une merveilleuse réflexion sur le théâtre et le métier de comédien. Ensuite, c’est encore plus beau, plus fort, plus essentiel. Enfin, nous ressortons comme nous sommes entrés mais avec tant de choses en tête qu’on ne peut se résoudre à quitter son écran des yeux, regardant défiler le générique comme un benêt.

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« L’artiste  traduit non mot par mot, mais effet produit par effet à produire. La plus belle et forte situation intérieure n’a nul rapport nécessaire avec le langage. L’art commence par le sacrifice de la fidélité à l’efficacité. »
Cette phrase de Paul Valéry écrite en 1910 dans ses « Cahiers » vient clore la petite conversation que nous avons eue dans le précédent post à propos des structures.
Je vous quitte pour me régaler d’un Maigret des années soixante avec Gino Cervi dans le rôle de l’homme à la pipe ! A tout à l’heure.

Julius Marx

samedi 21 novembre 2015

Introduction



L’une des toutes premières règles de la narration cinématographique c’est de présenter son personnage principal le plus rapidement possible, dans sa fonction, son caractère et son environnement. L’exercice est plutôt logique si l’on sait que ce personnage a pour mission de nous accompagner (via les éléments constitutifs de l’intrigue) de la naissance du conflit jusqu’à sa résolution.
La plupart des ouvriers spécialisés du ciné d’aujourd’hui nous collent un type dans son lit dès la première scène. Et puis voilà que le réveil sonne et notre  homme, après avoir appuyé sur le bouton pour faire cesser ce lancinant et diabolique rappel à la réalité (la façon d’appuyer variant, bien entendu, suivant son humeur du jour) (1) se lève et plonge illico tête baissée dans l’histoire comme un consommateur moyen à qui l’on a promis une portion de lasagnes surgelées. Ce travail syndical ayant donné jusqu’ici toute satisfaction, nos ouvriers ne voient pourquoi ils remettraient en cause ce choix. C’est évidemment la grande différence qui existe entre la portion de lasagnes surgelées et celle que l’on peut déguster chez un de mes amis, après que le bougre soit resté trois jours complets dans sa cuisine, ne sortant que pour  choisir le vin et satisfaire à des besoins bien naturels. Vous me suivez ?
Voyons ensemble quelques exemples plus inspirés, vous mangerez plus tard. La présentation qui me vient tout de suite à l’esprit est celle de La prisonnière du désert ou tout, ou presque est  clairement annoncé dès l’apparition d’Ethan et de quelle façon ! Visionnez ! (2) Et puis, un autre western 
Le train sifflera trois fois ou des habitants du village  nous présentent celui qui va arriver en nous parlant de son passé, de son caractère etc... Astuce utilisée également dans le subtil et parfait People will talk  revu hier soir grâce à Youtoube.  Plus proche de notre époque mouvementée, citons aussi la fameuse voix off de No country for old men des Coen Bros sur de magnifiques plans de désert.
Le but, vous l’aurez compris, reste de nous faire plonger nous aussi tête la première dans l’intrigue pour s’occuper au plus vite des « choses sérieuses ». Pendant ce temps-là, les O.S. qui n’ont pas sélectionné « le coup du réveil », pensant posséder des prétentions artistiques sans en avoir les moyens, s’emmêle les pinceaux. Dans combien de chefs-d’œuvre nous demandons-nous, en suçant frénétiquement le bâtonnet de notre esquimau, (3) qui est ce type et qu’est-ce qu’il peut bien faire dans cet endroit non identifié qui pourrait à la fois ressembler à l’atelier d’un bricoleur forcené ou à un amateur de plongée sous-marine ? Tenez, en attendant que le type sorte de son atelier, reparlons un peu de  People will talk (On murmure dans la ville-Joseph L. Mankiewicz-1951) qui n’a pas comme unique qualité qu’une introduction efficace et astucieuse. Découvrez aussi ce montage « musical », ces recadrages subtils sur les personnages au moment même où il leur appartient de nous livrer la raison de leur trouble, de leur bonheur. Remarquons, sans aucune retenue l' humour parfois grinçant qui pointe sous cette forme-comédie.
Bon, le type n’est toujours pas sorti de son atelier. Et puis, de toute façon, comment pourrait-on l’apercevoir, tout est si sombre sur l’écran. On s’en moque, il reste encore tellement de films sur Youtoube ! A l’assaut !
Je vous embrasse, surtout les femmes voluptueuses et philosophes.

Julius Marx

(   (1)   La sonnerie ou le message du réveil variant eux aussi, bien entendu, selon le pays, l’époque, et la sensibilité musicale du type allongé. Sont-ils futés tout de même !
(    (2)   Il existe un post sur cette intro dans ce blog, cherchez !
(    (3) Je suce toujours un esquimau en visionnant. Je préfère nettement les esquimaux aux caramels mous qui collent aux dents.
Image: un plan de la scène d'introduction de People will talk.

samedi 7 novembre 2015

Polar, enfin!





Jamais de la vie de Pierre Jolivet est un film réjouissant qui fait énormément de bien aux amateurs de la forme polar que nous sommes. Réjouissons-nous donc.
Dans un premier temps, accordons-nous le grand plaisir de détailler la forme avant d’en venir au fond. Le premier plan nous fait découvrir l’arène (un supermarché et son immense parking) où va se dérouler le drame (introduction et résolution). Le chef opérateur parvient à magnifier ces lieux, à les rendre possibles. On ne  peut affirmer qu’il possède la maîtrise de l’outil ( mais qui la possède vraiment ?) L’ image proposée  n’est nullement accessoire, elle fait vraiment partie d’un tout. Ici, pas de chichis modernistes, de tremblements superflus, de point de vue d’hélicoptère. Puis, arrive en quelque sorte le maître des lieux, notre personnage principal.
Ce personnage, un employé syndicaliste viré pour avoir voulu changer les choses, jette un œil sur son domaine. L’homme s'est mis sur la touche et n ‘a, semble-t-il, plus l’envie ni la force de revenir sur le terrain. Il s’est enfermé  dans ce monde (le supermarché  la nuit et  son appartement d’une cité voisine le jour. Notons au passage que la décoration de son appartement est sublime, sans trop de misérabilisme choc). Au matin, après sa nuit dans son supermarché, il rejoint sa place de parking, toujours la même, il la rejoindra pour y pousser son dernier soupir.
Bien entendu, l’homme est amer et sans aucune illusion. Ici, l’alcool et les drogues ne sont pas employés comme  une des composantes d’un ensemble de recettes ; images sombres, pavés mouillés etc… Il boit parce qu’il sait qu’il ne changera pas le monde. Alors, que reste-t-il ? L’amour. Oui, nous verrons cela plus tard. On pense à un personnage d’une puissance passionnelle comme ceux de  Cain ou Goodis, bien entendu, mais aussi au Gabin du Quai des Brumes, ce déserteur  échoué « au bout du monde » et victime de la justice implacable des hommes et peut-être aussi au Frank Poupard de Série Noire bref, que du beau, du Noir.
C’est la rencontre avec Mylène, une assistante sociale qui ne se fait pas plus d’illusion que lui sur l’avenir, qui va le pousser à revenir dans le monde des vivants. Avant le grand plongeon, il  fera une brève incursion dans le monde d’en haut et il en reviendra encore plus désabusé.

Pour le reste, l’intrigue et autres petites choses bien savoureuses, visionnez vous-mêmes et réjouissez-vous, donc, pour la forme.
Julius Marx