samedi 19 mars 2016

Cahiers de Cinéma (4)



Le médiocre
La télévision attire irrémédiablement le long-métrage vers le bas, l’insignifiant, le médiocre.
Dans Disparue en hiver un trio de « scénaristes » aligne les différents poncifs du film noir comme les chefs de rayon d’une grande enseigne de supermarché les télévisions avant la grande vente promotionnelle de fin d’année. L’ancien flic Kad Merad vit seul dans une grande maison triste et froide ho, ho, ho séparé de sa femme ha, ha, ha, après la mort accidentelle de leur fille hi, hi, hi… L’homme forcément désespéré hé, hé, hé, recherche une jeune fille disparue hu, hu, hu et finit par mettre au jour un vilain meurtre orchestré par un potentat local aïe, aïe, aïe…
La ville est froide Brrrrr… Et il y a aussi du brouillard et de la pluie, Mince…. A la fin du film, dans un cimetière, l’ancienne femme de l’ancien flic, prend le bras de son mari qui tient un parapluie.
Hiver encore avec 12 Winter qui raconte les aventures palpitantes de trois braqueurs de banque dans les années quatre-vingt en Allemagne. Deux des braqueurs sont jeunes, l’autre vieux. L’un des jeunes persuade le vieux de préparer les hold-up de manière plus professionnelle en faisant du jogging et des pompes dans les bois. Il lui demande également d’arrêter de manger des sandwichs dans sa voiture. L’autre jeune annonce qu’il est séropositif. Les trois tombent d’accord pour affirmer que la vie est injuste.  Pendant ce temps-là, deux jeunes policiers louent un local avec des bureaux, des ordinateurs et de grands tableaux avec des cartes routières épinglées dessus. L’un des deux (qui vit séparé de sa femme parce qu’il préfère visiblement son boulot à la vie de famille) plante des petits drapeaux de couleurs différentes sur les cartes routières. L’autre boit du café. Impossible de vous relater la fin de cette intrigue hors du commun, j’ai préféré visionner un autre épisode de Faites entrer l’accusé avec bien plus de suspense et de rebondissements. Ne manquez surtout pas l’épisode ou le gendre assassine l’ensemble de sa belle-famille, probablement parce que sa belle-maman l’a traité de minus.

Géométrie
Côté vrai cinéma, je vous conseille très vivement de visionner les petites vidéos très instructives de Every Frame is a Painting sur l’indispensable Youtoube. Ne manquez pas celle consacrée à The bad Sleep well-1960 d’Akira Kurosawa où l’auteur nous parle de la géométrie de la scène chez le Maître nippon. Et puis, pendant que vous y êtes, visionnez-les donc toutes, de Memories of Murder de Preminger à Fargo des Coen bros. Instructif, vraiment.

Consternant
Jeune et jolie nous conte l’histoire d’une demoiselle jeune et jolie qui profite de ses moments de loisir pour exercer le joli métier d’escort-girl. Au paroxysme du suspens et de la pression psychologique l’un des clients de la demoiselle demande : « mais pourquoi tu fais ça ? »  La réponse dans un des nombreux volumes reliés de la Comtesse de Ségur.

Amusant
Babysitting est une comédie française amusante. L’intrigue, construite à partir d’une accumulation de catastrophes (en gros comme la très célèbre Party de Black Edwards) ne surprend pas vraiment mais, fait assez important à signaler pour un film français, tient véritablement le coup jusqu’au dénouement final. Pour le reste, je crois qu’il s’agit là d’un premier film, forcément référentiel. Et puis, Peter Sellers est mort.

Phrase
« Le cinéphilisme est une défense contre l’émotion, mais cette défense jouit d’être balayée. » JP. Manchette (Charlie-Hebdo-Octobre 1979)
Je crois que l’on peut se quitter là-dessus.

Julius Marx

vendredi 11 mars 2016

L'art industriel





L’art industriel tel que Hollywood le pratiquait avait ceci de bon aussi qu’on commençait par une universalité, celle du commerce. Quand un jeune homme (disons Jack Ford) débute là-bas, il ne viendrait à personne l’idée que le but de son travail est d’exprimer ses problèmes et sa pensée. Le but de son travail, ce sont des images de chevauchées et de morts violentes qui plaisent à la masse publique. Quand Ford et les autres ont mûri, ils continuent de montrer des chevauchées et des morts violentes, et d’autres choses pittoresques qui plaisent aussi. Leur particularité vient de surcroît. Quand Ford fait un film comme par exemple L’Homme tranquille, il peut ouvrir son cœur au sujet de l’Irlande, du mariage, de la violence, de l’amour et de bien d’autres choses parce qu’il sait parfaitement bien mettre à son film un pivot (la gigantesque bagarre, en l’occurrence), et mettre à chaque scène un pivot. C’est ainsi qu’il peut aussi faire dire une réplique comme : « Si les gens du Sinn Fein étaient de la fête, il ne resterait de cette chaumière qu’un tas de ruines. » Pour quiconque ignore, comme moi la première fois où j’ai vu L’Homme tranquille, tout de l’Irlande et notamment du Sinn Fein, cette réplique et le personnage qui la dit sont incompréhensibles ; mais c’est sans importance, car le film comme totalité et immédiatement et aisément compréhensible, jouissif universellement. Ca, c’est ce que Ford apprit à faire d’abord.
Les cinéastes modernes sont très mal barrés au départ, au contraire, car le marché de maintenant leur propose d’exprimer tout de suite leur particularité, et même exige ça d’eux (la multiplication des salles d’exclusivité minuscules remplaçant les salles de quartiers spacieuses est la même chose concrétisée par le béton). Le marché avait recouvert les gens en gros, à présent il les recouvre en gros et en détail. La télé et Star Wars d’un côté, de l’autre de gros paquets de capital donnés à des gens qui n’ont pas fait vingt films ni même dix, pour qu’ils racontent presque librement ce qu’ils ont sur le cœur.
Remarquez que s’ils arrivent à le raconter vraiment, on les fait disparaître. Mais remarquez que la plupart de ceux qui disparaissent, c’est pour d’autres raisons (tous les papillons ne sont pas Socrate), et c’est bien fait. De toute façon c’est un bien fait. Et un bien fait n’est jamais perdu.
Jean-Patrick Manchette

Charlie Hebdo n°466 (17 octobre 1979)

samedi 5 mars 2016

Cahiers de Cinéma (3)






Nostalgie (encore !)
Pour les plus anciens d’entre nous, l’émission Cinéma/Cinémas diffusée sur Antenne 2 de 1982 à 1991 du trio Boujut-Ventura-Andreu reste une émission culte, comme disent les jeunes d’aujourd’hui. Je me souviens du magnétoscope et des cassettes vidéo de quatre heures pour réaliser un enregistrement parfait n’omettant ni le début, ni la fin, et surtout pas le fameux générique. A l’époque j’espérai travailler pour la postérité, pour que mes deux progénitures, plus tard, soient en mesure de visionner l’interview de Cassavetes à Hollywood en 1965 ou bien les nombreuses de Welles, d’Hitch et tant d’autres. Tentative généreuse d’une filiation cinéphilique qui s’est bien entendu avérée totalement inutile.  Aujourd’hui, il suffit à ces jolies demoiselles de laisser glisser leurs petits doigts agiles sur les touches de leur ordinateur-friend pour visionner l’ensemble de ce qui dort paisiblement dans des cartons, au fond de ma cave, sous le matériel de camping et le service à fondue de la grand-mère. J'étais totalement fan des séquences de Philippe Garnier, le correspondant hollywoodien, de sa voix, de ses sujets. Je me souviens de cette interview surréaliste de John Ford, assis sur son lit en pyjama et mâchant un infâme morceau de cigare à qui l’on demandait :« Monsieur Ford, comment êtes-vous arrivé à Hollywood ? » et le maître de répondre :« By train ! »  Comment oublier les mots de Welles sur le rythme, la musique des films ? Comment oublier le visage sévère du génial chef-opérateur Stanley Cortez, expliquant son travail sur les 36 jours de tournage (oui, 36 !) de Night of the Hunter, et finissant la conversation en disant simplement : « si vous savez ce que vous faites, il n’y a jamais de problème. » Il y a tant de petites phrases que j’ai bien dû noter quelque part… Je sais qu’un jour, c’est certain, je finirai par me débarrasser du matériel de camping et du service à fondue de la grand-mère.

Folie
Twin Town est un film britannique totalement fou réalisé par Kevin Allen en 1997.L’intrigue se situe dans la province toujours sinistrée (même le Prince en est conscient) du Pays de Galles. L’intrigue débute comme une étude sociale, se transforme rapidement en polar violent et réaliste, fait un petit tour vers la comédie de mœurs et s’achève par une séquence surréaliste. Le rythme et les personnages totalement décalés nous font penser aux Coen bros ou à un Tarantino. Bref, un ovni probablement trop moderne à l’époque qu’il vous faut absolument visionner aujourd’hui.

Lapsus ?
En visionnant quelques extraits choisis de la cérémonie des Césars, je relève une blague de la présentatrice de la soirée. La demoiselle ironise sur le travail des acteurs français qui, pour obtenir la précieuse récompense doivent, selon elle, fournir beaucoup moins de travail qu’un Di Caprio, par exemple. Inutile pour eux de dormir dans un cheval mort, de marcher des kilomètres dans la neige ou de lutter au corps à corps avec un animal sauvage. Non, rien de tout cela, il leur suffit simplement de se laisser pousser la moustache et de jouer dans un drame social. Ecrit pour faire rire, son texte relève pourtant de manière fort simple et intelligente la grande différence qui existe aujourd’hui entre le cinéma (spectacle) et le cinéma (réaliste), entre le drame-fiction et la  fameuse recherche du réel.  
Pourquoi ne pas imaginer une émission consacrée au cinéma avec pour titre cinéma (au singulier) et cinémas (au pluriel) ?
L’habileté de ce retour à la case départ me laisse sans voix.
Allez en paix.

Julius Marx

jeudi 3 mars 2016

Nostalgie




-Toujours aussi sentimental?
-Non, seulement avec les chevaux.

(Vera-Cruz. Robert Aldrich 1954)