lundi 16 mars 2015

Le noir leur va si bien

Article paru dans l'indispensable revue  l'Indic. Abonnez-vous sur le site Fondu au noir.blogspot         
                           

Amis du ciné-club, bonsoir. Ce soir nous allons parler ensemble de Miller’s Crossing le film de Joël et Ethan Coen, deux petits gars sacrément futés. A l’heure ou d’autres abandonnent images et montage aux ordinateurs ou tentent maladroitement de bousculer les règles narratives, les frangins ont choisi d’œuvrer dans le classique référentiel. Dans l’entreprise Coen Bros, fondée en 1982 avec Blood Simple, (1) tout est propre et soigné, utile et efficace. Voyons maintenant les quelques points principaux  qui assurent  la réussite de ce film sanctification.  L’intrigue se déroule à l’époque bénie de la prohibition, dans une ville sous l’emprise de deux clans rivaux où les politiciens, les flics et les journalistes ne sont que des pantins pathétiques entre les mains de gangsters. (2)Chaque gang tente de s’approprier le territoire et les profits de l’autre en distribuant sans compter marrons, pruneaux et autres friandises. L’histoire s’ouvre (et se refermera) au carrefour de deux routes (Miller’s Crossing), un joli petit coin de nature où l’on vient régler ses comptes, entre hommes, à l’abri des regards indiscrets. Ce charmant petit bois, c’est un peu la maison isolée d’Eddy Mars(3), le motel où se réfugient les amants fugitifs Keechie et Bowie, (4) l’usine  de produits chimiques qui voit périr Cody Jarrett dans les flammes.(5)C’est un  lieu hors du temps, du monde, du tumulte de la ville, où tous les conflits doivent fatalement se régler.
Comme dans la plupart des films du tandem le point of  view choisi  est une vision au-dessus des événements. Les plans d’ouverture(6) nous montrent le chapeau d’un homme emporté par le vent, puis la cime des arbres. Nous comprenons assez vite que l’homme, que l’on fait certainement glisser dans le sous-bois en le tirant par les pieds, n’a pas perdu son chapeau par hasard. Nous avons donc un plan extérieur et un plan (en vision subjective) de l’homme qui contemple la cime des arbres, en pensant probablement que c’est la dernière fois qu’il peut jouir d’un tel spectacle. Le vent est une autre composante importante de cette introduction. S’il  fait avancer le chapeau au rythme d’une lancinante musique (7), il viendra aussi ponctuer chaque séquence (ou chapitre, si vous préférez) du film. A vous de découvrir quand et comment, car futés, vous l’êtes, vous aussi, à n’en pas douter. Bien entendu, nous retrouverons également ce chapeau dans la scène de conclusion.
L’instant poético-structurel dépassé, nous entrons maintenant dans le vif du sujet avec la première séquence et la découverte des différents personnages qui vont s’affronter dans ce drame shakespearien. Leur confrontation s’articule à partir d’un meurtre puis d’une trahison. Il s’agit de savoir si  le fils adoptif  du caïd du gang irlandais a trahi son père ou non… Shakespearien, vous dis-je !
Pour les autres personnages, sachez que le fils entretient une relation plus qu’orageuse avec la belle Verna, une poupée qui a vraiment du chien. La scène qui nous la montre s’en allant seule dans cette rue, la nuit, d’un pas mal assuré sur l’asphalte luisant, comme une marionnette suspendue à des fils invisibles, est aussi émouvante que la scène finale des Nuits de Cabiria qui n’est pas un polar mais bel et bien un chef-d’œuvre tout de même. Le frère de Verna, Bernie le traître, est  aussi pleutre qu’un Elisha Cook Jr(8) et le garde du corps du caïd italien, Eddy le Danois, aussi dangereux, balafré et imprévisible que le Tony Camonte de Scarface.(9)
Finissons  en visionnant ensemble, une fois encore (je ne m’en lasse pas) la scène de l’assassinat manqué du caïd irlandais par deux tueurs, avec ces plans montés sur la musique  du Londonderry air. C’est tout bonnement  époustouflant ; Ah ! Mes amis, quel rythme, quel bonheur !
C’est vraiment trop d’émotion, je n’en puis plus… laissez-moi seul.
Julius Marx
 (1) Expression que l’on attribue à Dashiell Hammett et qui peut se traduire par «  celui qui perd la tête à la vue de trop de sang »
(2) Chacun peut bien entendu établir une relation évidente  avec le  Red Harvest de Dashiell Hammett, véritable œuvre fondatrice du roman noir. Citons comme seule adaptation cinématographique vraiment sérieuse  Yojimbo (Le Garde du corps) d’ Akira Kurosawa (1961)
(3) The big sleep (Howard Hawks-1946)
(4) They live by night (Nick Ray-1949)
(5) White Heat (Howard Hawks-1949)
(6) Scène d’introduction devenue véritablement culte si on en juge par le nombre d’amateurs qui proposent leur propre version sur Youtoube.
(7)  Composée par Carter Burwell
(8) Elisha Cook Jr, acteur américain, véritable archétype du faible sans aucune volonté que l’on peut voir entre autre dans The Maltese Falcon de John Huston-1941, The Big Sleep d’Howard Hawks, martyrisé par Bogart, et en mari trompé dans The Killing-Stanley Kubrick-1956.
(9) Scarface  (Howard Hawks-1932)

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