mardi 25 décembre 2018

4 films (et un bouquin)




Ce mois-ci, grâce à notre bienfaiteur Youtoube, trois films qui donnent envie de revoir des classiques.

13 West Street  Philip Leacock (1962) Lutte sans merci est l’adaptation du très bon The Tiger Among Us de Leigh Brackett (Sonnez les cloches- Série Noire n° 406) avec Alan Ladd et Rod Steiger. L’intrigue tourne autour d’une bande de fils de famille qui agressent sans aucune raison valable de bons américains. On se demande bien entendu pourquoi ces étudiants de l’american dream nourris aux flocons d’avoine, jus d’orange de Floride et feuilletons télévisés tabassent cet ingénieur qui construit des fusées pour l’armée américaine ? Parce que l’ingénieur est joué par le lymphatique Alan Ladd ? Oui, peut-être, mais ce n’est pas suffisant. Souvenez-vous de Rebel Whitout Cause de Nick Ray et vous aurez un début de réponse . Un début seulement parce que le film lui, ne donne aucune réponse et se concentre plutôt sur l’ingénieur qui, à son tour, pète un peu les boulons. J’écris, un peu, parce que Alan Ladd est totalement incapable de péter les boulons, qu’on se le dise ! Bon, je vous rassure tout va bien se finir et les revendeurs de flocons d’avoine et de jus d’orange de Floride seront rassurés.


Brute-Force (1947) de Jules Dassin avec le bestial Burt Lancaster pose lui aussi une question capitale : pourquoi les hommes enfermés en prison veulent-ils absolument en sortir ? Ne riez-pas, charmante Elvire, les loups sont réellement dans le pénitencier ! Comme dans bon nombre de films sur le même sujet, profitant de la faiblesse du directeur, nous avons un sous-directeur qui s’inspire des méthodes de la Gestapo pour faire régner la terreur chez les détenus. Ces détenus de la cellule 27, justement, qui racontent chacun leur propre histoire grâce à trois ou quatre flash-back. Il est amusant de constater que tous ont étés bernés par des représentantes de la gente féminine. Il est fort probable que ce script serait aujourd’hui censuré par le ministère des droits de la femme au nom de la fameuse parité. Tout ceci va s’achever comme prévu, avec une émeute générale qui verra Burt le costaud balancer le sous-directeur de la grande tour du mirador principal, comme King-Kong avant lui. La aussi, pas de vraie réponse à la question principale et les représentants de la loi et de l’ordre moral seront rassurés.


Le dernier Tournant  (1939) de Pierre Chenal avec Michel Simon est la première adaptation cinématographique du grand roman de James Cain The Postam always rings twice (Le Facteur sonne toujours deux fois-1933. )Là encore, une unique question. Lorsque le vagabond arrive dans ce relais-restaurant géré par Michel Simon et sa très jeune et séduisant femme, on devine qu’une idylle va se nouer entre les deux (je parle du vagabond et de la jeune femme, nous sommes en 1933!) la question est quand ? Bon, question idylle les choses ne sont pas trop mal construites mais, c’est dans l’atmosphère générale que l’on trouve la faille. Parce que, dans le roman de Cain, cette atmosphère si particulière de la grande dépression fait partie intégrante de l’intrigue. On pourrait même se risquer à dire qu’elle en était un des personnages invisible et pourtant si présent. C’est cette grande dépression qui a enfanté le personnage du vagabond. Malheureusement, sans cette diégèse indispensable le film ne laisse apparaître qu’une simple histoire de ménage à trois.


J’ai aussi visionné Arlette de Claude Zidi avec Christophe Lambert et Josiane Balasko. Mais, c’était la semaine où je lisais Mort et vie de Bobby Z de Don Winslow et je ne me rappelle plus très bien du film. J’espère qu’on se reverra l’année prochaine. Bises.

Julius Marx

samedi 24 novembre 2018

Un classique



Le classique c'est Tangoku to Jigoku (Entre le ciel et l'Enfer) de Akira Kurosawa.
Voilà un film devenu un classique pour deux raisons majeures à mon sens : son contenu et sa mise en scène. Veuillez donc, amis, me faire l’honneur de vous installer face à moi, dans le grand cercle de la spirale organique et accepter cette tasse de thé. Ainsi, portés par le souffle vital qui imprègne toutes choses en un, nous allons échanger d’abord sur le contenu. Dans les années soixante la maison de production Tōhō acquiert, à la demande de Kurosawa, les droits d'adaptation de Rançon sur un thème mineur, roman noir de la série du 87e District d'Ed McBain. Ce qui intéresse probablement le maître japonais dans cette histoire d’enlèvement (1), c’est le caractère social que ne manque jamais d’aborder Mc Bain dans ses romans. Et puis, on peut aussi penser qu’il a très vite compris que le genre noir collerait parfaitement à une intrigue se déroulant dans ce Japon d’après-guerre où les vaincus vivent une période pour le moins compliquée, où les gangs, le marché noir et la corruption, sont souverains. Cette époque ressemblant comme deux gouttes de saké à celle de la prohibition américaine, cet indispensable terreau fertile dont Dashiell Hammett, puis d’autres ensuite, ont si bien profité.
Mais, Kurosawa est aussi un humaniste et le sort réservé à son peuple le préoccupe manifestement. Puisque nous parlons du peuple, pourquoi ne pas s’autoriser à penser que le titre original du film Tengoku to Jigoku fait référence à ce peuple d’en bas cher à Jack London ; peuple d’opprimés qui lutte comme il le peut, et avec ses moyens limités, pour tenter de rejoindre le peuple d’en haut , celui des puissants et des riches. Dans l’exposition du film (dont nous parlerons plus tard) on peut donc observer que la maison du riche commerçant se situe sur une colline dominant la ville, bien au-dessus des taudis surpeuplés et grouillants d’activité.
Cette lutte entre le peuple d’en haut et celui d’en bas va donc occuper une place importante dans la narration et dans l’hypothèse dramatique du film.Avant de passer à la mise en scène proprement dite, offrons-nous un petit résumé pour les veinards qui n’ont pas encore vu ce film.
Dans sa luxueuse villa Kingo Gondo, fondé de pouvoir d'une importante fabrique de chaussures, a réuni les membres de son conseil d'administration, qui tentent d'imposer une nouvelle politique de "chaussures bon marché", à laquelle s'oppose Gondo. Soudain, on annonce que son jeune fils a été enlevé, ce qui sème la panique, car le ravisseur de l’enfant demande une rançon de 30 millions de yens. Mais un délicat dilemme survient lorsqu'on apprend que le ravisseur s'est trompé et a en fait enlevé le fils du chauffeur de Gondo. Après une longue hésitation, et sous la surveillance secrète de la police, il décide de payer la rançon.
Dans cette fameuse et très longue exposition (filmée comme il se doit « au ras du tatami ») l’auteur prend le temps nécessaire de nous faire partager la vie du personnage principal, de sa famille (dont le rôle de chacun est clairement défini) et de ses collaborateurs. Cette réunion se tient donc dans un calme absolu où les femmes servant des rafraîchissements donnent l’impression de flotter entre les hommes assis en cercle. Toute la séquence est filmée en plans larges, donnant l’impression d’une succession de tableaux. Les mots sont brefs, calculés ; les gestes précis et presque théâtrales.Ce parti-pris d’une installation longue et méthodique va sceller ce récit de façon remarquable. De cette façon, l’annonce de l’enlèvement du garçon (plot-point) va nous surprendre et nous allons adopter sans sourciller (et encore sous le choc) son point de vue, ses décisions et ses résolutions. Habile donc, cette entrée en matière tout en douceur qui s ‘achève dans le chaos.
Dans la deuxième séquence, le personnage principal va être dans l’obligation de descendre dans la ville d’en bas pour remettre la rançon au ravisseur. A partir de ce moment-là tout s’accélère. Quelque scènes dans un train sont même filmées caméra épaule, je pense, accentuant le caractère urgent de cette quête. On a compris que chaque séquence aura donc sa propre entité et sa propre méthodologie dans le but unique de servir le récit. Comme une partition écrite avec soin, les séquences défilent en rythme tantôt soutenu, tantôt plus lent. La descente « aux enfers » de l’industriel (composée et articulée comme un véritable voyage initiatique) va se poursuivre jusqu’à la scène du climax qui montrera le vrai visage du ravisseur. J’aurai pu employer le verbe « dévoiler » pour cette scène remarquable, étudiée dans toutes les écoles de cinéma, avec ses décors visibles ou à demi-dissimulés par de légers rideaux blancs flottant au vent.
Je doit ajouter également un autre élément très important ; la chaleur. Etouffante, elle ne cesse de renforcer l’atmosphère déjà lourde et pesante de l’ensemble. Cette chaleur pesante, on peut d’ailleurs la retrouver dans deux autres grands films noirs de cette période du Maître ( L’Ange Ivre et Chien enragé ).Vous l’aurez compris, tous ces « détails » de mise en scène, ces personnages puissants, ces lieux inimaginables que l’on découvre au fil des scènes, finissent par faire apparaître un véritable tableau du monde corrompu, pas très éloigné de l’Enfer de Dante.
Par moi on va vers l'éternelle souffrance ;
Par moi on va chez les âmes errantes.
Puis, enfin, notre voyageur finira par retrouver sa maison, là-haut, sur la colline, au-dessus de ce monde, triomphant du vertige, des illusions et de la peur. S’il le veut, notre héros pourra même observer les étoiles.

Julius Marx

(1) Dans le japon de cette époque mouvementée, les enlèvements contre rançon ne cessaient d’augmenter.

mardi 25 septembre 2018

Cahiers de Cinéma (7)





Miracle !
Enfin un grand docu ! Vu chez mon fidèle Youtoube le film que Win Wenders a écrit pour Sebastiao Salgado. La narration (alternant habilement la pure biographie et l’errance des idées) est si subtile qu’il me vient un frisson en l’évoquant pour vous. Le contenu est soigné, les commentaires avisés et les photos du grand Salgado miraculeuses. Si vous ne connaissez pas encore ses photos, il est grand temps pour vous d’entrer dans la nef des lumières.


Noir
La chaîne Arte Cinéma (toujours chez Youtoube) propose (au beau milieu d’un salmigondis d’inepties ) deux grands films d’Akira Kurosawa. Notez que tous les films du maître nippon sont grands, mais, ceux-là intéresseront plus particulièrement les amateurs de Noir. Je ne parle évidemment pas de chocolat mais du genre de littérature né pendant la grande dépression de 1929 aux Etats-Unis dont H.GWells disait qu’ils sont un pays dont l’hyperbole est tempérée par l’efficacité. Ces deux films Chien enragé et Entre le ciel et l’Enfer, nous en avons déjà parlé ensemble et si vous ne les avez pas encore vus, il est grand temps pour vous de vous allonger au ras du tatami.

Réflexion 1

Se souvenir qu’un film est une œuvre d’art (mais pas nécessairement ), et qu’il n’existe que dans une quatrième dimension, le temps. Une œuvre d’art de trois centimètres de large et de deux kilomètres et demi de long. La vitesse du déroulement est régulière : mille six cent quarante-cinq mètres à l’heure. Il existe deux routes connues et balisées : celle des frères Lumière et celle de Georges Méliès. La route réaliste, le train qui entre en gare de La Ciotat et qui suscite « toujours » la même surprise (avec ses multiples variantes en mouvement : avion, voiture, bateau ; mais aussi guerre, révolution, bagarre) ; et puis la route fantastique, la lune en carton, le pôle Nord, les effets extraordinaires et d’avant-garde avec des bouts de carton, un regard facétieux sur l’homme, sur les mythes, la comédie (rien ne procède naturellement, tout est extrapolation humaine), et caetera.
On est pas obligé de suivre l’une ou l’autre de ces voies. Il vaut mieux en inventer une troisième, un point de vue tout aussi merveilleux, celui des songes et de l’art.

Réflexion 2

L’ennui engendre la littérature et je dois m’attendre à de l’ennui. Un scénariste est une invention de la société qui met l’ennui à profit.

Coup de crayon

Ces deux belles réflexions sont extraites du livre d’Ennio Flaiano Le jeu et le massacre. Un bouquin que je viens d’achever et dont à peu près toutes les pages se retrouvent magnifiquement illustrées de coups de crayon gras (lignes, croix, cercles et rectangles). Si vous ne connaissez pas encore ce scénariste et auteur italien , il est grand temps pour vous de revoir les grands films de Fellini.

Julius Marx

samedi 1 septembre 2018

Le jeu et le massacre



Le cinéma, quel ennui infini, supercherie, masturbation! Et tout ça sous couvert de dispenser la vérité! Emphase, hyperbole, redondance sont la base du langage cinématographique. Emphase de l'écran, hyperbole esthétique, tout doit être beau, séduisant. Redondance des images, une rose est une rose,  un paysage est un paysage, une femme est une femme.
Ennio Flaiano
Le jeu et le massacre

jeudi 14 juin 2018

Cahiers de Cinéma (6)





Le Maître

Si vous aimez le cinéma noir, le roman de la même couleur, et les belles chemises hawaïennes, visionnez vite sur notre bien-aimé Youtoube le one-man show du grand James Ellroy sur la scène de la cinémathèque française le 15 décembre 2016.  https://www.youtube.com/watch?v=lewwJPKR_EE
Bien entendu, vous aurez droit à la fameuse question : " Quelle est (selon vous) l'influence de la ville de Los Angeles sur les films tournés?" Mais, bon, sa réponse vaut à elle seule le détour.
Ensuite, l'animateur voudra connaître l'opinion de l'écrivain sur les films adaptés de ses œuvres (comme si cela avait encore de l'importance !) et nous entrerons dans le vif du sujet ( pas trop tôt!) lorsque le maître donnera sa liste des grands films noirs. Comme de coutume dans ce genre de débat, tous les participants prennent grand soin de ne pas trop approfondir les questions, mais vous, fidèles lecteurs, vous vous demanderez pourquoi le maître dit de plusieurs films "qu'ils n'ont pas de profondeur"? Vous aurez probablement la réponse avant la fin du doc.

Théâtre

Une pièce de théâtre est plus convaincante qu'un film parce qu'un film est une histoire de fantômes. Les spectateurs n'y échangent pas d'ondes avec des êtres en chair et en os. La force du film est d'afficher ce que je pense, de le prouver par un subjectivisme qui devient objectif, par des actes irréfutables parce qu'ils se produisent devant les yeux. On arrive, grâce à son véhicule vulgaire, à rendre l'irréalité réaliste.
Jean Cocteau
Le journal d'un Inconnu

Dîner en ville

Monsieur vient de raconter une histoire qui a plongé les convives dans une hilarité générale.
"Dommage qu'elle ne soit pas de vous", dit Monsieur au scénariste assis en bout de table.
-N'ayez crainte, elle le sera bientôt ! réponds l'intéressé.

Documentaires

Les documentaires sont très souvent bien plus palpitants que les films de fiction proposés aujourd'hui. Peut-être parce qu'ils sont habilement mis en scène à la manière d'un cinéma "d'avant" c'est à dire en privilégiant les structures et en prenant toujours soin de ne pas laisser le spectateur à la porte.
Pourtant, cette mode agaçante des teasers  empilés les uns sur les autres et promettant le sensationnel, avant d'entrer enfin dans le vif du sujet, à de quoi nous décourager.

Ellroy, again. 

Grâce au maître, je me suis précipité sur mon ordinateur-friend  pour revoir le Rôdeur de Losey et La griffe du passé de Tourneur. Pour le Losey, l'article est déjà sur ce blog quant au Tourneur, nous en reparlerons bientôt. Si Dieu le veut !

L'Indic

Surveillez la sortie prochaine de  cet excellent noir magazine où Julius donne son avis sur Rope de Hitch.Il y a également beaucoup d'autres articles de talentueux rédacteurs qui ne ménage pas leur peine. C'est vrai.

Julius Marx

mercredi 23 mai 2018

Une merveille



Un film, c’est un contenant et un contenu. La ligne dramatique, les images, la lumière, le son, la musique et la mise en scène forment le contenant .Le contenu se résumant à la seule réflexion, la pensée, du réalisateur.
On peut donc facilement en déduire que les éléments d’un contenant sont tous au service du contenu. Mais, on peut aussi affirmer la possibilité d’apprécier l’un sans aimer l’autre, même si l’un ne va pas sans l’autre.

Prenons un exemple simple. Le contenu du film de Martin Scorcese La dernière tentation du Christ ne m’intéresse pas, même si son contenant reste brillant. Pourtant, j’aime Mean Streets dans sa totalité (contenu et contenant). Dans ce film, la religion est pourtant omniprésente (crucifix, discours sur la morale, le Bien, le Mal ,le pêché, Nombreuses visites au prêtre etc...). Il est évident qu’elle reste au service d’un contenu quasi-obsessionnel chez Scorsese : la réussite.Ainsi, le personnage principal doit composer avec ces éléments de diégèse là.
Bon. Tout ceci est bien joli mais, cette subtile réflexion appartient elle aussi à un monde totalement dépassé. Un monde qui ne rêve plus, ou au moins qui ne cherche plus à donner son avis (son point de vue, objectif ou non) sur ces choses très embarrassantes pour l’homme depuis la création de l’humanité que nous résumerons d’une manière un peu simpliste par la liste des péchés capitaux.
Alors, disons qu’un bon film possède un thème fort, un contenu intéressant (dans le sens où il va nous permettre de réfléchir) et un contenant à la hauteur.
C’est bien le cas de Gunfigther de Henry King (1950) avec Gregory Peck. Le contenu de ce film, c’est un peu Le salon de musique de Ray ou Le guépard de Visconti. Il s’agit là d’un thème devenu presque classique aujourd’hui. Notre personnage principal ( un bandit rescapé du très fameux règlement de compte à OK Coral) ne comprend plus le monde dans lequel il est obligé de survivre. Lui, le survivant d’un monde dépassé ou la plupart des conflits se réglaient par le Colt. Ce nouveau monde des bourgeois « rangés » et repentis, il voudrait bien le rejoindre mais, le destin en a décidé autrement. Pas très difficile donc d’imaginer son état d’esprit lorsqu’il se rend dans la petite ville qu’il a quitté, il y a si longtemps déjà, pour retrouver celle qu’il aime. Même si son ami (un ancien bandit lui aussi) devenu shérif lui facilite un peu la tâche , nous comprenons qu’il va échouer et qu’il devra inévitablement payer pour ses fautes. De fautes, justement, nous n’en découvrons aucune dans le contenant. Images, jeu des acteurs parfaits, atmosphère de plus en plus pesante, bref, une merveille !
Bon, allez vite voir ce beau travail sur notre bien-aimé Youtoube , à qui nous rendons grâce et si vous n’aimez pas ce film, promis, je mange mon chapeau !

Julius Marx

mercredi 21 mars 2018

Copié-collé




Article paru dans l'excellente revue (l'Indic)
Amis cinéphiles bonsoir. Autant vous le dire tout de suite, pour cette séance nous allons dire beaucoup de mal d’un film. Ce film récent (décidemment cette séance sera totalement inédite) c’est Le Caire Confidentiel (The Nile Hilton incident) de Tarik Saleh . Si vous me demandez pourquoi, en me rappelant qu’il est beaucoup plus productif de s’intéresser aux bons films qu’aux autres je vous répondrai soit, soit, vous avez sûrement raison. Mais, tout de même, tout de même, il me semble important de tenter de comprendre ce qui cloche dans ce polar germano-danois-suédois. J’entends déjà des voix qui s’élèvent me demandant de capituler vite fait devant le nombre impressionnant de critiques illustres qualifiant ce film de véritable chef d’oeuvre, de me montrer pour une fois magnanime ! Ces voix sont bien gentilles mais il est important qu’elles sachent que je ne suis pas critique de cinéma et que cette rubrique est avant tout un échange entre amateurs.
Mon avis, je vais donc donner et voici mes arguments.
Commençons par le personnage principal de cette fiction : la ville du Caire. Cette mégapole concentre à elle-seule une dose mortelle de bruit, de fureur et de pollution, sans oublier la violence et la dérision comme l’a écrit Albert Cossery(1) Hélas, le spectateur que je suis ne sens à aucun moment cette fureur contenue qui transforme la ville en monstre. Pour entrer dans cet univers, le spectateur a besoin, dans un premier temps, d’une bande-son omniprésente, quasiment obsédante. Il a besoin d’entendre tous ces cris, ces pétarades, ces sifflets, ces chants, ces vrombissements !(2)
Dans un second temps, le spectateur (eh oui, encore lui...) a besoin d’images. Il ouvrira de grands yeux étonnés devant le formidable spectacle qu’offre la rue. Une monstrueuse parade qui jamais ne prend fin. Il découvrira la formidable circulation de cette ville, ces ruisseaux bouillonnants qui dévalent tous vers le Nil impassible.
Côté intrigue, c’est encore plus désolant. Nous avons droit à un empilage assez curieux de ces fameux clichés du polar totalement périmés. Il y a tout d’abord le flic corrompu (rions tous bien fort en pensant aux défenseurs de ce film qui ont découvert à cette occasion la corruption complète de la société égyptienne). Ce flic va apprendre que les hommes proches du pouvoir de Moubarak sont des méchants et ne pensent qu’à préserver leur impunité, même s’ils sont mêlés à l’assassinat d’une danseuse/call-girl ! En menant sa propre enquête, il va aussi succomber aux charmes d’une autre danseuse/chanteuse /call-girl et finira par découvrir que son oncle (chef de la police) est aussi un pourri. Mais bon, passons, tout ceci n’a pas, ou plus, d’importance car la révolution gronde et le fin de l'ère Moubarak est proche.
En résumé, ce film manque cruellement d’identité, et ressemble plus à un « copié-collé » de ces navrantes séries télévisées policières européennes sans fond ni forme.
La question que l’on peut se poser c’est : pourquoi se servir encore de ces clichés à la date limite de consommation largement dépassée ? Et surtout, pourquoi les utiliser pour mettre en scène un monde, une culture, totalement différents ?(3) Probablement pour faire plaisir aux spectateurs germano-dano-suédois, et aux Français qui ont l’impression de dénoncer la misère du monde en donnant onze euros au guichetier du cinéma.
Bref, absence criante de contenant pour un contenu médiocre. Pour la prochaine séance, nous reviendrons positifs et d’humeur guillerette. Inch’Allah.


JuliusMarx


(1) Immense écrivain égyptien qui vous en apprendra mille fois plus sur cette ville et ses habitants qu’une dizaine de films comme celui-ci.
(2) J’ai même entendu le sifflement d’une tronçonneuse à trois heures du matin, si...si…
(3) Si l’Egypte vous intéresse, je vous conseille vivement de lire « L’Immeuble Yacoubian » de Alaa al-Aswany (2002) adapté au ciné en 2006 par Marwan Hamed. Et puis, bien sur, de voir ou revoir tous les films de Youssef Chahine.