(Article paru dans l'indispensable revue "L'Indic")
Allez, ne soyons pas
pusillanimes et attaquons-nous tout de go à l’un des classiques
du film noir avec The Big
Sleep ( Le Grand Sommeil)
d’Howard Hawks (1948). Le même Hawks a déjà réalisé LE
classique du Noir avec son Scarface en 1933.
Pour parler d’un
film comme celui-là, il est souhaitable d’oublier volontairement
les nombreux poncifs rebattus par nombre de critiques chevronnés (
le couple mythique Bogart-Bacall, l’histoire impossible à
comprendre (même pour le réalisateur parait-il), le grand Faulkner
à l’écriture du scénario etc) pour nous concentrer sur une seule
vraie question : Pourquoi ce film reste-t-il, après toutes ces
années, un indiscutable classique du Noir ?
A mon sens, l’un
de ses premiers atouts, c’est son mode de récit. Ce qui frappe en
revoyant le film c’est cette rare et délicieuse sensation d’ouvrir
un roman et de faire dérouler l’histoire, soi-même, chapitre par
chapitre, sans jamais utiliser de marque-page. On peut juste
regretter de n’être pas allongé dans son lit douillet, mais
recroquevillé dans un des ces fauteuils inconfortables qui font la
réputation des salles d’art et d’essai. Bon, revenons à cette
sensation qui n’est généralement possible qu’avec un Point
of wiew -With, c’est à dire, en français
« avec le personnage-principal ».Pour résumer
simplement, imaginons que le spectateur découvre les éléments
constitutifs de l’intrigue en même temps que le personnage
principal. Il n’est donc jamais en avance (ni en retard, bien
entendu) sur lui. Ce mode de récit est clairement annoncé dès le
premier plan du film (et vous connaissez maintenant l’importance du
premier plan dans un film) avec la main de Marlowe qui frappe à la
porte de la maison Sherwood. Ce plan subjectif marquant le début de
l’enquête du privé et du même coup notre entrée dans le récit.
Si l’on adopte ce point de vue, il est indispensable
évidemment que le personnage principal (ici Marlowe) participe à
la plus grande partie des scènes dans le but évident de ne pas
perdre le spectateur en route.
Bon, ceci étant
dit, le récit se poursuit. Le subjectif abandonné (1)
nous avons droit à une description très complète de Marlowe par
des tiers (le valet qui le fait entrer dans la maison, les filles du
général Sherwood, le général lui-même ,etc). Et puis, pour
terminer sur le script et le mode de récit, disons que l’univers
diégétique est accompli. Nous avons là, réunis et en parfaite
symbiose , les nombreux codes et clichés (2)
du Noir.
En analysant le
contenu, nous trouvons une deuxième raison de nous réjouir.
Vous le savez, pour
faire un bon noir il faut de la corruption, des meurtres et du vice.
A l’évidence, ce film ne manque pas de toutes ces jolies choses.
Les personnages Chandlériens étant tous plus on moins corrompus à
des degrés divers.Un riche général à la retraite condamné à
ne plus boire que par procuration, ses filles, qui se chargent de
dilapider l’héritage sans aucun états d’âme, des pauvres,
prêts à tuer pour des sommes dérisoires, des représentants de
l’ordre corrompus, et enfin , des malfrats qui agissent comme de
véritables bêtes sauvages.
De toute évidence,
l’intrigue témoigne bien du trouble, du dérèglement, qui agitait
ce monde-là.
Bref, ne serais-ce
que pour ces deux raisons principales, ce chef-d’oeuvre du cinéma
Noir reste un des mètres-étalon du
genre. Ajoutons simplement que la violence contenue de Bogart
convient parfaitement au personnage crée par Chandler.
Alors,
vous comprendrez aisément, je pense, que même si le réalisateur
lui-même, révèle qu’il n’a pas compris l’intrigue, cela n’a
vraiment aucune importance.
Julius
Marx
(1)
Le lymphatique blondinet Alan Ladd réalisera lui aussi un Marlowe
entièrement tourné en subjectif. Une curiosité.
(2)
Pour ceux qui arrive seulement maintenant, je rappelle une fois de
plus que le mot « cliché » dans l’univers codé du
scénario n’a évidemment pas la même signification que dans la
vraie vie. Il s’agit là d’indispensables codes de narration.
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