mercredi 26 septembre 2012

Le juste prix



Sous nos contrées le film est très souvent estimé à son juste prix. L'ouvre copiée ( je ne peux employer l'adjectif piraté car le pirate ne dérobe que le précieux, le rare) se négocie aux alentours de 1 Dinar et demi, ce qui correspond à peu de chose près à 75 centimes d'Euro.
Pour cette somme modique le consommateur  (je me refuse à utiliser le mot amateur car l'amateur choisit et tente de cultiver un bon sens critique) peut acheter la plupart des productions actuelles dans les nombreuses boutiques spécialisées. Simples cabanons ou plus larges espaces climatisés, ces échoppes proposent  thrillers, shockers, films d'actions, soupes romantiques, comédies débiles et même, pour certains, classiques en noir et blanc dans leurs versions originales!
Pour les copieurs (je me refuse à les qualifier d' escrocs car à mon sens, ils sont beaucoup plus utiles pour la société  qu'un fonctionnaire des douanes ou  un architecte diplômé) ce qui prime avant tout c'est la bonne bagarre, la franche castagne, le bourre-pif assuré.
Pour ces dealers in celluloïd le titre du film importe peu. Le détail important qui les fait cliquer convulsivement sur leur souris c'est d'abord la présence d'un costaud à la carrure de semi-remorque. Puis, dans un second temps, ils s'assurent que le steak sur pattes exhibe bien un revolver  qui correspond à ses biceps. La blonde qui montre ses nichons dans le coin gauche de la fiche de présentation n'est qu'une option facultative.
Grâce à cette rigoureuse sélection, nous avons le plaisir de feuilleter un sensationnel catalogue de nanars ( on peut aussi les nommer films de série B, si on est indulgent) dont le pays d'origine est bien entendu les Etats-Unis.
Mais,heureusement pour nous, y a les rêveurs (comment les appeler autrement ?) Ces valeureux  chevaliers décident, on ne sait pourquoi, d'enregistrer aussi des films sans types baraqués, sans le moindre nichon ni cascades de voitures. Dans ces ovnis venus d'un autre monde, le méticuleux  qui fera l'effort d'ouvrir une bonne douzaine de classeurs, aura le plaisir de découvrir un petit bijou comme The illusionist de Sylvain Chomet....une si longue intro pour en arriver là !
Ce dessin animé de monsieur Chomet  est né d'un script écrit par Jacques Tati dans les années 5O.
On le sait, le seul nom de Tati évoque à lui tout seul un univers poétique aussi vaste, coloré et sonorisé que les Etats-Unis ( état de l'Alaska compris).
Le réalisateur  met en scène Tati lui-même sous les traits d'un illusionniste en fin de carrière qui parcourt l'Ecosse à la recherche d'un modeste cachet.
Le film est magnifiquement coloré et les scènes sont toutes teintées de cette poésie rare (encore! mais comment dire autrement?)
Pourtant, au gré des situations, on ne peut que penser, qu'imaginer, ce que le grand Jacques aurait pu faire avec un scénario aussi prometteur. La sagesse de monsieur Chomet c'est bien de s'être contenté d'oeuvrer dans son domaine de prédilection (dessins, personnages pittoresques, paysages somptueux, humour) sans jamais empiéter sur celui du Maître. Cette sagesse est tout à son honneur.
Nous découvrons en quelque sorte un Jacques Tati  de l'autre côté du miroir. Un poète pris dans la tourmente d'un monde qui s'écroule, comme la plupart de ses collègues du music-hall (clown suicidaire, ventriloque ivrogne, acrobates reconvertis dans la publicité).
Ah, oui, j'oubliai. Il  me faut aussi vous dire, et c'est important, que mise à part l'utilisation des dialogues tatitiens (et allez donc, j'invente des adjectifs, maintenant..) l'autre bonne inspiration de l'élégant Chomet c'est de ne pas avoir tenté de travailler le son comme son aîné, et c'est bien.
Ce film est un hommage et nous pleurons comme son auteur à la disparition des vrais poètes (pour Jacques Tati, il n'y vraiment pas d'autres mots).
Julius Marx
ps: Dans l'image illustrant cet article nous retrouvons le personnage Tati dans un cinéma où il croise son modèle.

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