dimanche 16 mars 2014

Histoire de parler


Elle : Si vous restez avec le capitaine, vous verrez bien quand il sera malheureux.
Lui : Oui, les gens malheureux savent toujours quand les autres sont malheureux.
        Sinon, ça serait  malheureux.

Le dialogue, dans le cinéma d'aujourd'hui, est une des disciplines qui m'attriste le plus. Lui aussi a bien entendu été contaminé par l'épidémie de réalisme que nous subissons depuis tant d'années. Dans un premier temps, avant de râler, tentons de définir le dialogue dans sa fonction. Vient-il, au secours de l'intrigue quand les faits sont impossibles à traduire en image, sert-il à tenir informé le spectateur en lui révélant, par exemple, que le personnage principal a attrapé la varicelle ou les oreillons à un âge avancé, ou alors, est-il simplement écrit  pour le plaisir des mots et de la langue? Et bien, chers amis, le dialogue est un peu tout cela à la fois. Vous comprendrez alors un peu mieux, je pense, pourquoi ce travail méthodique, rigoureux et poétique (non, ce n'est pas antinomique) manque aujourd'hui cruellement de têtes pensantes.
Dans le cinéma dit populaire, les auteurs se contentent de pondre quelques bonnes répliques, généralement reprise dans la bande annonce du film, puis complètent les cases manquantes avec un bavardage pauvre, ré-haussé d'une bonne dose de vulgarité.
Dans le cinéma pour auteurs subventionnés, le dialogue survit comme il peut, noyé dans une bande son violoncelle / bruits  ambiants de la rue  et sifflements stridents d'appareils ménagers. Dans ces chefs- d'oeuvres de réalisme, il n'est pas rare d'entendre, par exemple, le personnage décrire lui-même le lieu dans lequel il se retrouve, dans un soucis évident de clarté et de transparence. Ainsi, à l'homme debout sur le trottoir, devant la porte d'entrée d'une école primaire ( frontispice clairement visible dans le cadre) et au milieu de groupes d'enfants, la femme demande:" pourquoi est-tu venu nous chercher à l'école? "
Le "bon mot" et le monologue intérieur ne sont que des solutions de facilité. Le dialogue, dans un premier temps, se doit d'être informatif. Autrement dit, si tu n'as rien de nouveau à nous apprendre: ferme-la. Puis, une fois l'information donnée, il peut se laisser aller à un développement et une conclusion poétiques et, pourquoi pas, jubilatoire. Bien entendu, les paroles échangées par les différents personnages d'une fiction ne peuvent en aucun cas être assimilées à des conversations réelles.
Alors, poésie ou réalité, tout n'est qu'affaire de dosage.
Enfin, dans la plupart des films proposés aujourd'hui, relevons aussi l'uniformisation du langage. L'homme du peuple s'exprime comme le bourgeois, la femme de ménage espagnole, comme le banquier suisse (ou alors, leur texte, caricaturé à l'extrême, frise la xénophobie) et l'étudiant en troisième année de droit, comme un footballeur du bassin minier.
C'est que, justement, le dialogue a aussi comme fonction de caractériser le personnage. Revisionnez la plupart des scènes de la première séquence de La grande Illusion, notamment  les scènes de repas. Si vous n'arrivez pas à situer facilement les différents protagonistes, c'est que ma tante s'appelle mon oncle. En travaillant cette fonction particulière et efficace du dialogue on peut aussi inventer d'autres langues, comme la désormais célèbre novlangue d'Oranges mécaniques pour le personnage d'Alex et ses sbires.
Il est grand temps de couper, car voyez-vous, pour atteindre son but, le dialogue se doit aussi d'être bref et concis.
Fermez les guillemets.
Julius Marx
Image : Fernand Ledoux et Michèle Morgan dans Remorques (Jean Grémillon 1941)
Dialogue de Jacques Prévert.

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