jeudi 18 septembre 2014

Histoire de pourcentage


Abidjan. Tiers monde. Dans cette ville, les trois-quarts des habitants vivent dans la rue et ne peuvent s’abriter que sous des baraques croulantes. Mais, Dieu merci, il y a la Sainte parabole. Grâce à elle et aux feuilletons diffusés sans interruption sur le petit écran, le peuple peut garder le contact avec les grands de ce monde ; ceux qui vivent dans de somptueuses demeures hollywoodiennes  avec des salons aux dimensions de terrain de foot, des cuisines équipées par la Nasa et des salles de bains de nababs aux allures de thermes romains. Pourtant, avec un peu de persévérance et beaucoup de doigté, on peut vaincre l’agresseur sitcom et finir par échouer sur une chaîne spécialisée dans le cinéma d’action ou le polar.
Alors, pendant que la pluie entrera dans sa chambre malgré la fenêtre close, on pourra s’extasier une fois encore sur le travail de l’opérateur  Arthur Edeson pour Mutiny on the Bounty de Lewis Milestone  et on versera une larme pendant que Monsieur Christian agonisera sur la plage. Entre deux coupures d'électricité, on retrouvera  La proie des vautours de john Sturges où l'on  s’étonnera de découvrir Frank Sinatra (avec un petit bouc sur le menton et un drôle de chapeau australien sur la tête)  découper du japonais dans la jungle birmane pendant que Charles Bronson colle un bourre-pif à un jeune blanc-bec qui a osé le traiter de peau-rouge.  En visionnant cette scène de Patrouilleur 109 de Leslie H.Martinson, on restera pour le moins perplexe en entendant la réplique d’un marin yankee  philosophe  fixer l’horizon  et lancer en direction de son pote à côté de lui: « que d’eau ! hein ? »
En finissant d'éponger l'eau, justement, sur le sol, on insultera la canaille de réalisateur qui  a dirigé  le grand Eddie Constantine dans Nick Carter et le trèfle rouge, l’obligeant à mouiller son trench-coat  sur une plage  du plat pays. On respectera Michael Caine (en élégant costard trois-pièces, est-il besoin de le préciser ?) pendant qu’il distribuera pruneaux, marrons et autres friandises sans jamais perdre son flegme dans le film La loi du milieu de Mike Hodges.
Enfin, on fera ses prières pour que la parabole ne s'envole pas pendant l'orage qui s'annonce. Gloire à toi Sainte parabole et à tes chaînes câblées, même si elles s’obstinent à diffuser les films en version française. Dernière minute : ma fille cadette  vient de m’informer qu’il existe probablement  un bouton sur ma télécommande pour visionner les programmes en version originale. Mais, nous sommes séparés de plus de 5000 kms. Bon sang ! Que la vie est devenue triste, subitement.
Julius Marx

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