mardi 20 octobre 2015

Fiasco

Article paru dans le merveilleux et très inventif périodique noir " L'Indic", dans la rubrique "ciné-club".




Salut à vous, ô grands amateurs du noir et blanc, des caramels mous et du bâtonnet glacé. Pour cette séance, nous osons nous attaquer à Stanley Kubrick en tentant d’en savoir un peu plus sur son film The Killing (L’Ultime Razzia- 1957). Oui, nous osons, parce que sur ce metteur en scène adulé par le peuple des cinéphiles tout ou presque  a déjà été dit, écrit, filmé etc…(1)
Nous n’avons pas la prétention d’expliquer une fois de plus les  modes expressionnistes de la claustrophobie, l'agoraphobie, le déséquilibre, la lutte contre l'hystérie spatiale sonore, l’utilisation de  masques effrayants et outranciers figés  propres à l’univers des héros kubrickiens, ni même d’explorer la folie destructrice du cerveau humain (certes, l’ensemble des pages de cette revue ni suffirait pas). Nous allons seulement nous occuper de nos affaires en discutant sagement ensemble, et en prenant bien garde de ne pas nous emporter, de ce beau film, bien fait, bien noir.
The Killing signifie quelque chose comme « tuerie »(2) .Ce  titre n’est pas anodin et contient déjà une vraie promesse. De façon négative ou positive, nous en déduisons qu’il va y avoir du sang, et de fait ; des espoirs déçus, des vies brisées, bref : un beau gâchis. Et le sang, mes amis, c’est bien le suc du film noir, sa substance, ce qui persiste au milieu du changement et le rend compréhensible. On peut également y ajouter le noir et blanc. A ce propos, un  ami chef opérateur m’a dit un jour que l’image noir et blanc était beaucoup  plus facile à composer que l’image couleur. Qu’importe, le noir et blanc reste à jamais l’âme du film noir. Ce chef opérateur reste mon ami, même s’il n’a pas compris le sens ma réponse.
La première séquence nous présente  Johnny Clay, un gangster qui après avoir purgé une peine de prison pour vol à main armée, veut tenter le dernier coup (rien de moins que de dérober la recette d’un champ de courses)  avant de laisser tomber  définitivement la profession. Oui, je sais que vous avez certainement déjà lu cette situation de départ dans les romans de Maître Cain,  de JimThompson (l’écrivain est crédité au générique comme l’auteur des dialogues) ou dans le mythique They Don’t dance to much de James Ross(2). Votre remarque est juste. C’est bien à ce genre de roman avec ce type de héros désabusé qui sait pertinemment  que dans cette société  injuste, le pauvre n’a d’autre choix que de se soumettre, que le film de Kubrick me fait penser. Johnny  Clay constitue son équipe. Il recrute un flic endetté, un barman avec une épouse nécessitant des soins coûteux, un caissier affligé d'une pin-up sur le retour insatisfaite  qui rêve de devenir une femme de la haute, un tireur d’élite  et un vieux poivrot sympathique. S’il subsistait un doute dans notre esprit, nous avons maintenant la certitude qu’avec ces recrues, l’entreprise, même si elle parvient à voir le jour, ne pourra que  finir mal. Si, dans un premier temps, le hold-up se déroule comme prévu, la suite est catastrophique. Les erreurs vont s’enchaîner (Johnny  ira même jusqu’à acheter une vieille valise qui ferme mal pour planquer l’argent !) Nous n’avons jamais vraiment l’impression qu’il  ne cherche à arrêter cette mécanique infernale. Il est  bel et bien seul, totalement dépassé par ce monde qu’il ne comprend plus, et à qui il n’oppose que sa force brutale. Voilà encore un des traits caractéristiques d’un personnage de James Cain. Je trouve aussi très intéressant dans ce film l’utilisation du son. Certaines séquences étant véritablement commentées par une voix off très journalistique, proche de celle du speaker du champ de course. Nous avons l’impression que ce narrateur omniscient observe faits et gestes des personnages de toute sa hauteur en nous mettant en garde si, d’aventure, nous avions nous aussi l’idée de sortir du rang pour tenter un coup du même genre.
Mais alors, quelle différence entre ce film noir de Kubrick et une bonne série B, par exemple ? me demanda un jour un  autre ami grand amateur de polar, alors que nous vidions ensemble une bouteille de Château Pradeaux 1976. Le contenu, mon cher, le contenu, fût ma réponse. Le Kubrick a une âme, l’autre seulement une structure. Avec son premier film noir Kubrick montre qu’il a assimilé les codes et les valeurs morales du polar même s’il s’inscrit déjà dans la liste (devenue longue aujourd’hui) des films « hommage » à une époque, un genre. Devant sa mine défaite, j’ajoutai encore ceci : c’est un peu la différence entre ce magnifique vin que nous partageons ce soir et un Chardonnay californien. Cet ami est toujours mon ami, même s’il lui arrive encore quelquefois d’acheter du vin californien.
N’écoutez surtout pas ce qu’on vous raconte : l’abus de contenu ne nuit pas à votre santé.
Allez en paix.
Julius Marx
(     1)    Pour les amoureux du papier glacé, un seul bouquin à conseiller : Stanley Kubrick, de  Michel Ciment (Calman-Levy)
(2)    D'après l’un de nos aimables lecteurs il peut aussi signifier « carnage et même, mise en bière  » étonnant, non ?

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