Il semble
bien que les séries policières soient un sujet d’actualité. Certains vont même
jusqu’à affirmer qu’elles renouvellent notre genre, celui que nous chérissons
tant. Vous le savez, mon dévouement est total. Alors, uniquement pour vous, j’ai visionné un
nombre impressionnant d’épisodes de ces séries françaises, ricaines ou britishs.
Autant le dire tout de suite, rien de tout cela ne m’a paru vraiment nouveau. Mais,
tentons tout d’abord d’expliquer ce succès.
La première
raison est familiale. Devant sa série préférée, le spectateur retrouve une
famille, celle des personnages. Le rythme hebdomadaire correspondant, a peu de choses
près, à celui d’une famille modèle se rendant au traditionnel repas dominical
chez les parents ou les beaux-parents. Au moins, devant sa télé à écran plat,
le mari n’a nullement besoin de s’habiller ni d’acheter une tarte aux cerises
chez le boulanger du coin. Notons également qu’il retrouve un peu plus d’action
que dans la salle à manger de sa belle-mère après l’apéro et les cacahuètes
salées.
Et puis, il
y a les intrigues que les scénaristes des autres films dits classiques ont
tellement négligées depuis si longtemps.
Les personnages sont à l’évidence plus grands que la vie. Dans
nos vies justement, si lisses et
organisées ( c’est à peine si l’on croise un petit voleur roumain par semaine
dans les couloirs du RER D ) il est tellement excitant et palpitant de partager , même pour une
cinquantaine de minutes seulement, la
vie d’un vrai dealer de crack, d’un serial-killer
qui aime les ours en peluche ou d’ un
profileur capable de déterminer en une seule fraction de seconde que le type
allongé devant lui sur la moquette, avec
un couteau enfoncé dans le
sternum, est un amateur de choucroute
garnie et vient d’acquérir une magnifique résidence secondaire dans le
Lubéron.
Oui, la
fiction a bien le pouvoir de transformer l’homo-sapiens en héros. Devant
son poste, le bourgeois de Charleville redevient poète, le receveur municipal
de la mairie de Rochefort s’en va courir les océans et le paysan de l’Aude s’improvise
trafiquant d’esclaves. Ainsi les producteurs avisés proposent aux spectateurs
une autre vie, fantasmée bien sûr, mais une autre vie tout de même, et ce n’est
pas rien.
L’homme des séries est un costaud, il tue ses
ennemis sans la moindre compassion, il butine un nombre impressionnant de
jeunes filles à forte poitrine et ne
préoccupe jamais de son taux de
cholestérol : pendant la durée d’un épisode, le spectateur non plus. Alors,
qu’importe si tout ceci manque cruellement de contenu.
Si la forme est respectée, c’est le fond qui
manque le plus. La plus grande partie des
intrigues s’articule autour de la lutte entre les bons et les méchants
(un peu comme dans un dessin animé de l’oncle Walt) et l’on peut aisément, si on en a envie, écrire le
déroulement logique de chaque épisode. Avouez que ça tombe bien, j’ai justement
envie de l’écrire.
Générique / moderne et enlevé. Tout comme la
pub, la musique doit être connue et
sacrément rock (TheWho) ou diablement funky (Aretha Franklin).
Séquence
1 / Présentation du
lieu et du meurtre/ musique dramatique de circonstance.
Séquence
2/ Arrivée du flic (ici,
ouvrons une parenthèse pour signaler qu’après le flic seul et forcément
désespéré, le plus souvent divorcé et alcoolique (les auteurs pensent que la
bibine est une composante essentielle du monde polar, avec la veste de cuir
râpé comme celle de Christophe Hondelatte) , nous avons aujourd’hui droit à de nombreuses variantes de couples :
flic noir et blanc, flic et chinois, flic et femme, femme et femme, noir et
noir, flic handicapé et son fauteuil, chien et albanais, femme et koala etc..
Fermons la parenthèse.) (Rouvrons une autre parenthèse illico pour préciser
encore que le flic est toujours incorruptible et honnête, ce qui nous montre
bien que nous sommes dans un univers totalement fiction.) La séquence débute avec une conversation
autour d’un gobelet de café. Ce
bavardage est sensé nous faire pénétrer dans la relation toute particulière qui
existe entre tous les membres de la
troupe ; un peu comme dans un
cirque entre : le clown triste, l’écuyère, le dompteur, la femme à barbe et le lanceur de couteaux. Puis le personnage
principal raconte une blague et tout le monde rit.
Séquence
3/ Début du
processus punitif. Le (ou les) flic arrive sur les lieux du crime. La question
rituelle posée aux types déjà sur place est : « alors, machin,
qu’est-ce qu’on a ? » Puis, le flic discute avec le médecin légiste
(ouvrons une parenthèse (encore !) pour signaler que le personnage du
médecin légiste a lui aussi beaucoup évolué. Aujourd’hui, il ressemble plus à
Laurent Ruquier qu’au docteur Mabuse.)
Enfin, pour clore la séquence, notre héros découvre tout un tas
d’indices que l’équipe de trente personnes, sur les lieux depuis l’aube, n’a
pas su dénicher. A côté de lui, le grand Sherlock Holmes fait figure de minus.
Séquence
4 / Le cœur du
processus punitif. Le personnage se déplace beaucoup en voiture en faisant bien
sentir aux méchants qu’il les méprise et en distribuant des mandales à ceux qui
se moquent de sa veste de cuir râpé. La séquence s’achève par une course poursuite
dans les rues de la ville qui nous mène dans une vieille usine abandonnée où
sur le marché aux poissons. Le méchant est capturé, les habitants peuvent
dormir sur leurs deux oreilles.
Séquence
5/ Retour au
commissariat. Retour du gobelet de café et scène finale dont le point culminant
a un rapport étroit avec la blague de la séquence 2.
Générique
de fin (pensez bien à
acheter la BO, en vente dans les grands magasins).
Oui, mais,
dans les séries où le personnage principal est un tueur ? demandent les
spectateurs attentifs. C’est exactement la même chose, leur répond l’auteur de
cet article. Voyez-vous, mes jeunes amis, rien n’a vraiment changé dans le
monde policier depuis les 155 épisodes
de la série des Cinq dernières minutes de Claude Loursais,
diffusée à partir de 1958 sur l’unique chaîne en noir et blanc. Série plus que
novatrice elle-même, parce qu’interactive.
Le bedonnant commissaire quinquagénaire se permettant toujours, avant la
séquence de conclusion, un aparté en direction du public pour demander :
« alors, vous avez trouvé le coupable ? » Puis les différents
indices se matérialisaient sur l’écran et le coupable avouait son méfait. Etonnant deus
ex-machina, non ?
Même si les
séries font quelquefois mine de s’encanailler en flirtant avec l’univers des espions ou en
s’invitant dans le lit des politicards,
elles ne restent que de simples plaisirs de distraction. Le
coupable est un élément isolé qu’il faut absolument maîtriser pour qu’il ne
nuise pas à la bonne marche des affaires. Mais jamais, ô grand jamais, le héros
ne s’interroge sur la société dans son ensemble ; les inégalités, le racisme
ou la corruption ne sont évoqués que
comme un mal inévitable.
Pourtant, on
peut trouver des conflits sociaux, de la sueur, de la crasse et une belle rage
dans la série This is England 86’,88’ et 90’ directement inspirée du film du même titre. Et puis, il
me faut aussi signaler Prime suspect (Suspect N°1) avec la
magnifique et combative Helen Mirren,
diffusée de 1991 à 2006. Série novatrice s’il en est qui annonçait de fort
belle manière cette « nouvelle vague » dont nous venons de
parler ensemble.
Jusqu’ici,
je croyais bien être un des seuls à ne pas beaucoup aimer ces fameuses séries
et j’évitais autant que possible les conversations avec mes amis. Et puis, j’ai
trouvé ceci dans un magazine consacré au Polar/cinéma. Cet extrait est une
partie de l’interview que le directeur de la prestigieuse série Noire a donné
au journal. Voilà un homme que j’aimerais bien compter parmi mes amis.
« Les
séries, je regarde deux ou trois épisodes et j’éteins la télé en me disant : « tout ça pour ça ! » T’as l’impression
que les mecs ont mis tout ce qu’il y avait de mieux au début et qu’ensuite ils
pédalent dans la semoule. Donc qu’on arrête de me dire que la série est
supérieure car elle prend le temps d’installer ses intrigues. Pour moi, Welles
dit plus de trucs dans La Soif du mal, que Pizzolatto avec True Detective. »
( 1) Interview
Aurélien Masson (So Film N° 42)
Fin de la
saison une.
Julius
Marx
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