Article paru dans l'excellente revue "L'indic".
Si le
scénario est bien l’un des éléments les plus importants d’un projet
cinématographique, ce qui compte avant tout c’est bien ce qu’un auteur va
pouvoir en tirer. Si cette phrase vous laisse pour le moins dubitatifs, voyons
ensemble un exemple précis.
L’action du
film
Fargo (1996-Coen Bros) se déroule dans le Nord-Dakota. Et, dans cet
état l’hiver est rigoureux, c’est le moins que l’on puisse dire. Pour ce film,
les deux frères Cohen (l’un scénariste, l’autre réalisateur) se servent avec
une maestria rare de cet hiver-là.
Dans le film
achevé, le spectateur n’a aucun mal à deviner que le premier point très
important, c’est l’isolement. Dans cet immense désert blanc, très loin du
tumulte des bouillantes mégapoles, les habitants ont l’habitude de vivre avec
le minimum, presque reclus. De fait, les intérieurs ne sont pas aussi ouverts
et accueillants que dans un village italien en période estivale. Nous
comprenons également que la plupart des infos ne seront pas délivrées aussi
facilement que dans une grande citée. Pour exemple, il nous suffit de visionner
attentivement la scène du témoin « spontané ». L’homme, dont on ne
voit jamais vraiment le visage (protégé qu’il est par une large capuche de
fourrure) répond au flic qui vient l’interroger par des onomatopées en
agrémentant son discours d’un grand nombre de considérations météorologiques.
Quant à l’image, elle vient supporter ce concert de non-dits de façon fort
efficace. Aucune ligne de fuite n’est
visible dans ce paysage. Et puis, si le spectateur pense que le panneau
« Stop » qu’on aperçoit très nettement dans l’image s’est retrouvé là
totalement par hasard, il a tort. Ce
panneau a probablement été placé entre les deux hommes pour venir en quelque
sorte, « souligner » leur dialogue de sourds. Ce genre de signes
sémiologiques m’enchante et j’espère que nous aurons l’occasion d’en reparler
ensemble.
Autre
exemple illustrant l’isolement, la remarquable scène d’exposition du film. Vous
savez maintenant que nos amis d’outre-Atlantique attachent une importance
quasi-fanatique à ce set-up. La scène
débute par un plan très explicite (grandes étendues de champs enneigés) dans un
silence profond. Ce désert blanc évoque un univers quasi-psychotique dont le
silence ne sera troublé que quelques secondes par le croassement d’un corbeau.
A lui seul, ce plan indique : le lieu, le genre dramatique, et l’époque.
Puis, l’arrivée de « l’intrus » (la voiture remorquée par le
personnage principal) vient cristalliser l’action.
Le second
point important, c’est la neige. Elle devient même au fil des scènes un des
éléments constitutifs de l’intrigue. La plupart des personnages agissent ou
réagissent très souvent en fonction de la neige. Tout d’abord, le personnage
principal qui ne manque jamais de se taper les pieds avant d’entrer chez lui ou
dans un café, nous montrant du même coup son aliénation et sa soumission, bien
avant que l’on ne soit en mesure de profiter de son tout premier dialogue. La
neige encore, ou plus globalement les conditions extrêmes, à l’origine de fort
belles scènes ou de très beaux plans : le malfrat qui produit beaucoup
d’efforts pour enterrer son magot dans le sol gelé, le personnage principal,
encore lui, qui passe sa colère sur son pare-brise envahi par le givre, ou
cette voiture isolée sur un immense parking enneigé. Mais surtout, cette neige
tachée de sang lors de la scène de résolution entre les policiers et les
malfrats.
Enfin,
ultime point dont j’aimerai vous entretenir : le IN/OUT. Pour tenter de
comprendre le parti-pris des deux auteurs, il nous suffit simplement de
visionner attentivement les scènes intérieur et extérieur et de les opposer.
Ainsi, nous remarquons assez rapidement que si les extérieurs utilisent
habilement « les grands espaces », les intérieurs s’appliquent à
faire vivre les protagonistes dans un univers très souvent restreint. Ils
semblent enfermés dans une boite dont ils ne pourront sortir qu’à condition de
transgresser les règles. Cette géométrie se retrouve dans la plupart des films
de Kurosawa, pour ne citer qu’un seul exemple, et vient encore renforcer cet
« effet » d’isolement, rendu merveilleusement crédible par les
éléments dont nous parlions plus haut.
Là-dessus,
je vous souhaite une bonne soirée et vous recommande vivement d’enfiler vos
moufles et de nouer votre écharpe avant de sortir.
Julius Marx
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