mercredi 4 octobre 2017

En quatrième vitesse !

(Article paru dans l'excellent périodique "l'Indic)



 
Amis des cadrages, de la profondeur de champ et du close-up, bonsoir. Pour cette séance, veilliez à bien attacher vos ceintures et, si le rythme effréné des 75 minutes du film dont nous allons parler ensemble vous fait tourner la tête, ne vous inquiétez surtout pas : en cas d’évanouissement, un masque à oxygène tombera automatiquement sur vos genoux.
Orson le Grand (1915-1985) a longtemps soutenu qu’un film réussi pouvait se comparer à une partition musicale. Le rythme, le tempo, étant assuré par une progression logique de l’intrigue et un montage créatif et rigoureux.
Pickup on South Street de Samuel Fuller (1953) est un parfait exemple de la parole du Maître. Tâchons d’être cohérents. Dans un souci de clarté, nous allons diviser cette causerie en deux parties : le contenant et le contenu.
Commençons donc par le set-up (la présentation). Une rame de métro traverse l’écran à toute vitesse accompagnée d’une musique, de sifflements et de bruits caractéristiques. (1) Pas le temps de souffler et nous voici déjà à l’intérieur, parmi les passagers. Suivent quelques close-up (je vous avais prévenus). Nous nous arrêtons sur une jeune femme. Nous constatons qu’elle est étroitement surveillée par deux hommes. La caméra joue très habilement avec ces trois visages.
Puis, suivent d’autres close-up de voyageurs fatigués, indifférents, lisant leur journal, ou levant les yeux au ciel. (2) Ces close-up nous démontrent que tous ces voyageurs, pourtant très proches les uns des autres, ne se regardent pas, ne se confrontent pas. Ils semblent à des milliers de kilomètres les uns des autres. Voilà, la mise en place est achevée. Que de questions en seulement une demi-douzaine de plans !
Voici maintenant le plot-point (la scène qui met le feu aux poudres). Entrée dans la danse d’un pickpocket qui dérobe, d’une manière toute professionnelle et sans aucun geste superflu, le portefeuille de la jeune femme. Si elle ne s’aperçoit de rien, ses deux anges-gardiens, eux, se rendent bien compte du vol. Arrêt de la rame. Le pickpocket saute sur le quai. Les portes se referment derrière lui et sur les deux hommes totalement impuissants. Fin de la séquence. C’est bien entendu à cette jeune femme qu’incombe le rôle de nous dévoiler les points principaux de l’intrigue. Nous apprenons qu’elle transportait sans le savoir, pour le compte d’un « ami », des documents classés « secret-défense ». L’intrigue va alors s’articuler à partir de la recherche du microfilm dérobé.
Voyons maintenant le contenu. L’auteur a visiblement fait le choix de laisser une place importante aux personnages. Leurs vies et leurs actions se croisent habilement dans le récit, à la manière d’un texte de Dos Passos. Il y a Skip Mc Coy, (2) ce pickpocket marginal qui vole « depuis qu’il porte des culottes courtes », propriétaire d’une cabane sur le port, entre la terre et l’eau. Ce simple détail peut amener les spectateurs que nous sommes à en conclure qu’il n’appartient à aucun de ces deux mondes. Quant à Candy, la jeune femme qui transporte des documents ultras-secrets « sans le savoir », elle nous avoue elle-même qu’elle a « embrassé tant d’hommes dans sa vie… » Et enfin, Moe Williams, une gentille grand-mère qui exerce la très respectable et très utile profession d’indic.
Vous l’aurez compris, c’est bien ce peuple de marginaux qui intéresse Fuller, lui-même si souvent « en marge » d’une société conventionnelle aux règles strictes, par le choix de ses sujets et par son intransigeance.
Le dénouement de l’intrigue (Skip et Candy s’en sortent indemnes, même si les flics auraient bien aimé les épingler) vient encore appuyer le choix de Fuller.
Un vrai bon film noir, dans la forme et dans le fond. Rendons grâce à Saint Fuller (1912-1997) Allons bon, voilà que je deviens mystique ! C’est votre faute, amis cinéphiles, nous ne bavardons ensemble que de chefs-d’œuvre.
Julius Marx

(1)D’après les infos dont nous disposons, il faut savoir que le grand Sam a fait construire spécialement une station de métro, des
rails etc. D’après d’autres informations dont nous disposons (mais où sont-ils allés chercher tout cela les bougres !) les voyageurs sont réellement secoués (la rame, étant montée sur vérins, elle est constamment remuée par de consciencieux machinistes.)
2 ) C’est probablement dans ce film que Richard Widmark a mis au point son fameux sourire inquiétant.

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