(Article paru dans l'excellent périodique "l'Indic)
Amis
des cadrages, de la profondeur de champ et du close-up,
bonsoir. Pour cette séance, veilliez à bien attacher vos ceintures
et, si le rythme effréné des 75 minutes du film dont nous allons
parler ensemble vous fait tourner la tête, ne vous inquiétez
surtout pas : en cas d’évanouissement, un masque à oxygène
tombera automatiquement sur vos genoux.
Orson
le Grand (1915-1985) a longtemps soutenu qu’un film réussi pouvait
se comparer à une partition musicale. Le rythme, le tempo, étant
assuré par une progression logique de l’intrigue et un montage
créatif et rigoureux.
Pickup
on South Street de
Samuel Fuller (1953) est un parfait exemple de la parole du Maître.
Tâchons d’être cohérents. Dans un souci de clarté, nous allons
diviser cette causerie en deux parties : le contenant et le
contenu.
Commençons
donc par le set-up (la
présentation). Une
rame de métro traverse l’écran à toute vitesse accompagnée
d’une musique, de sifflements et de bruits caractéristiques. (1)
Pas le temps de
souffler et nous voici déjà à l’intérieur, parmi les passagers.
Suivent quelques close-up (je vous avais prévenus). Nous nous
arrêtons sur une jeune femme. Nous constatons qu’elle est
étroitement surveillée par deux hommes. La caméra joue très
habilement avec ces trois visages.
Puis,
suivent d’autres close-up
de voyageurs fatigués, indifférents, lisant leur journal, ou levant
les yeux au ciel. (2)
Ces close-up
nous démontrent que tous ces voyageurs, pourtant très proches les
uns des autres, ne se regardent pas, ne se confrontent pas. Ils
semblent à des milliers de kilomètres les uns des autres. Voilà,
la mise en place est achevée.
Que de questions en
seulement une demi-douzaine de plans !
Voici
maintenant le plot-point (la scène qui met le feu aux poudres).
Entrée dans la danse d’un pickpocket qui dérobe, d’une manière
toute professionnelle et sans aucun geste superflu, le portefeuille
de la jeune femme. Si elle ne s’aperçoit de rien, ses deux
anges-gardiens, eux, se rendent bien compte du vol. Arrêt de la
rame. Le pickpocket saute sur le quai. Les portes se referment
derrière lui et sur les deux hommes totalement impuissants. Fin de
la séquence. C’est bien entendu à cette jeune femme qu’incombe
le rôle de nous dévoiler les points principaux de l’intrigue.
Nous apprenons qu’elle transportait sans le savoir, pour le compte
d’un « ami », des documents classés
« secret-défense ». L’intrigue va alors s’articuler
à partir de la recherche du microfilm dérobé.
Voyons
maintenant le contenu. L’auteur a visiblement fait le choix de
laisser une place importante aux personnages. Leurs vies et leurs
actions se croisent habilement dans le récit, à la manière d’un
texte de Dos Passos. Il y a Skip Mc Coy, (2)
ce pickpocket marginal qui vole « depuis qu’il porte des
culottes courtes », propriétaire d’une cabane sur le port,
entre la terre et l’eau. Ce simple détail peut amener les
spectateurs que nous sommes à en conclure qu’il n’appartient à
aucun de ces deux mondes. Quant à Candy, la jeune femme qui
transporte des documents ultras-secrets « sans le savoir »,
elle nous avoue elle-même qu’elle a « embrassé tant
d’hommes dans sa vie… » Et enfin, Moe Williams, une
gentille grand-mère qui exerce la très respectable et très utile
profession d’indic.
Vous
l’aurez compris, c’est bien ce peuple de marginaux qui intéresse
Fuller, lui-même si souvent « en marge » d’une société
conventionnelle aux règles strictes, par le choix de ses sujets et
par son intransigeance.
Le
dénouement de l’intrigue (Skip et Candy s’en sortent indemnes,
même si les flics auraient bien aimé les épingler) vient encore
appuyer le choix de Fuller.
Un vrai bon film noir, dans la
forme et dans le fond. Rendons grâce à Saint Fuller
(1912-1997) Allons bon, voilà que je deviens mystique !
C’est votre faute, amis cinéphiles, nous ne bavardons ensemble que
de chefs-d’œuvre.
Julius
Marx
(1)D’après
les infos dont nous disposons, il faut savoir que le grand Sam a
fait construire spécialement une station de métro, des
rails etc. D’après d’autres
informations dont nous disposons (mais où sont-ils allés chercher
tout cela les bougres !) les voyageurs sont réellement secoués
(la rame, étant montée sur vérins, elle est constamment remuée
par de consciencieux machinistes.)
2 ) C’est probablement dans
ce film que Richard Widmark a mis au point son fameux sourire
inquiétant.
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