mardi 17 septembre 2013

Pour John




Dans le désormais classique "Qu'est-ce que le cinéma?"(1) André Bazin consacre un long chapitre à l'adaptation cinématographique. Probablement avait-il déjà deviné que la plupart des films produits aujourd'hui seraient issus de romans.
Il faut bien admettre également qu'une large majorité des auteurs actuels n'a pas lu le bouquin de Bazin.
Le critique éclairé conseille (entre autres choses) aux scénaristes de ne pas s'imposer une trop grande fidélité au texte et leur propose d'avoir recours aux moyens propres au cinéma.
Ainsi, une image peut facilement remplacer deux ou trois lignes de texte.
De nos jours, cela peut presque apparaître comme une évidence, pourtant, les bougres n'ont jamais totalement abandonné "le mot à mot"ne se préoccupant que de l'intrigue déjà écrite et des personnages déjà construits.
Dans la tête d'un producteur, le texte qui a rencontré le succès le rencontrera aussi à l'image, ça aussi c'est une évidence. Et pourtant, la grande majorité des adaptations traitées sur les écrans est pauvre, sans aucune vie ni imagination. Fermons le chapitre avec cette phrase encore extraite du bouquin de Bazin :"L'art est une affaire de vision, un cinéaste qui se contente de traiter un roman comme un synopsis poussé restera médiocre quel que soit l'œuvre choisie."
Pour illustrer cette brillante démonstration parlons de deux grands auteurs dont l'oeuvre entière pourrait être adaptée avec un peu plus d'inspiration et de fantaisie : Donald Westlake et Andrea Camilleri.
Dans le dernier Westlake (mon Dieu! est-ce vraiment l'ultime bouquin du maître?) What's so funny? (Et vous trouvez ça drôle?) John Dortmunder livre une sacrée partie d'échecs. Comme à son habitude, Westlake nous livre une structure parfaite et des personnages aussi épais que les vingt-trois volumes de l'Encyclopédia Universalis. Comme d'hab encore, on peut aussi remarquer que l'auteur se préoccupe autant de ses personnages que de son intrigue. On pourrait même en déduire que ce sont les personnages qui priment. Ainsi, le lecteur (l'habitué) retrouve toute la bande de joyeux malfrats avec une délectation jouissive.
Il faut donc en conclure qu'avant toute chose, le scénariste devra impérativement construire John Dortmunder comme un horloger suisse son coucou, un enfant chinois son IPod.
J'ose même affirmer que le choix de l'acteur sera primordial (il l'est toujours, évidemment, mais, dans le cas présent, nous parlons de Dortmunder !)
A mon sens, il est impossible d'adapter les aventures de Dortmunder sans faire la place belle aux personnages. Le challenge, c'est de trouver un mode de récit qui facilite la présentation et le suivi des dits personnages.
Enfin, je sais que c'est un véritable sacrilège, mais il faut absolument renoncer à transcrire à l'image ce genre de phrase : " Tiny occupait le siège arrière un peu comme la Wehrmacht avait occupé la France."
Côté Montalbano, c'est exactement la même problématique. Dans le feuilleton télévisé diffusé en ce moment sur nos écrans, toutes les petites choses qui composent le personnage du commissaire, qui le font exister, sont volontairement gommées au profit de la seule intrigue. Du coup, l'intrigue, ou les deux intrigues mêlées, apparaissent bien pâles. Et ce n'est qu'en toute fin d'épisode que le commissaire redevient Montalbano, mais pour quelques minutes seulement.
Les personnages qui entourent Montalbano (opposants comme adjuvants) ont aussi une fonction propre. Dans les romans, leur rôle ne se borne pas uniquement a donner des renseignements.
Là encore, il faut trouver un mode de récit adapté au rythme de la Sicile et surtout laissez le commissaire manger ses rougets grillés en paix.
A ce propos, vous pouvez lire l'excellent article paru sur ce thème dans le non moins excellent journal "L'Indic"(2)
En résumé, laissez tomber le cinéma, lisez.

Julius Marx


(1) Editions du Cerf (réédité en 1976 puis 1985
Vous pouvez lire aussi un article de la revue Séquences Numéro 8, février 1957, p. 45-46 sur le site Erudit.org

(2) Pour savoir où vous procurer le journal " Fondu au noir.blogspot.com"

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