lundi 11 juin 2012

Lignes de fuite

Le critique de cinéma visionne, réfléchit et écrit.
La question est : pourquoi éprouve-t-il le besoin de révéler ce qu'il pense?
Parce que le lecteur n'a pas le temps de penser ni de réfléchir. Le lecteur veut un résumé succinct de l'intrigue, la liste des personnages avec quelque-unes de leurs particularités (points forts/ faiblesse) et surtout une ou deux petites anecdotes sur le réalisateur ou sur la période du tournage.
Le lecteur est donc satisfait d'avoir lu les pages culture de son magazine, et le critique touche son chèque de fin de mois avec la sensation du travail bien fait. Le système fonctionne à la perfection.
Le lecteur pose la question : que dois-je voir cette semaine pour être un type cultivé, à l'aise dans mon époque?
Le critique livre sa petite liste en prenant  bien soin de faire précéder son article d'un petit personnage heureux (pour les films IN) ou malheureux, pour les autres. Certains préfèrent les étoiles, d'autres encore des Z ou des 7. Qu'importe, seul le résultat compte, il faut être rapide, efficace.
L'avis du critique est très important. Le critique est un type instruit avec une veste de tweed, les cheveux poivre et sel, et une paire de lunettes en demie-lune. Il passe la quinzaine à Cannes pour réfléchir avec ses nombreux confrères sur la condition des femmes iraniennes, le salaire des mineurs du Pakistan, la quiche Lorraine et les brimades subies par les homosexuels Ouzbeks.
Le critique a aussi son propre style. Pour cette heureuse et prospère corporation, le feuillet/réflexion  sur une oeuvre cinématographique débute invariablement par  la description du personnage principal  (avec des phrases courtes, sèches, rapides) immédiatement suivie par le problème numéro 1 du personnage ; retrouver sa femme, son fils, son fox-terrier , l'assassin de sa femme, son fils, son fox-terrier, ou comment cacher le corps de sa femme, son fils, son fox-terrier etc.
L'article s'achève toujours par une phrase du type : "à travers cette intrigue, il faut voir dans ce film une véritable critique de la société ".
Or, nous le savons, tout ceci n'est que folklore et foutaises.
Ce n'est pas l'histoire qui compte mais, uniquement la façon dont elle est racontée.
Ainsi, nous allons nous intéresser à l'image, à la lumière, au cadrage, au jeu des acteurs, aux informations et nombreux signes posés çà et là par le réalisateur.
Allez, un exemple.
Dodes-Kaden de Akira Kurosawa (1970) .



Pour ceux qui n'ont pas encore vu ce classique, rendez-vous  immédiatement rue de Belleville, sans  passer par la case Départ et sans toucher 20.000 frs.(1)
Pour les autres, admirons un des premiers plan du film.


Nous sommes dans la maison du personnage principal (au sens de conducteur positif de l'intrigue). Ce jeune garçon va nous faire visiter son monde intérieur (nous constatons de suite qu'il ne pense qu'au  tramways (dessins) et son monde extérieur (le bidonville où il vit).
Nous avons donc le lieu, le personnage. Voici maintenant  le genre dramatique:



Le personnage nous présente son tram personnel (invisible). Il bichonne et parle à son ami.
Nous entendons les bruits et les sons amplifiés venant de  la machine.
De cette façon,  nous entrons plus facilement dans l'imaginaire.
(Dans pas mal d'articles sur cette scène clé, les critiques (les vrais) font souvent référence à Chaplin ou Keaton. Moi, j'opte pour Tati et sa merveilleuse et si efficace utilisation du son)
Par cette scène le réalisateur veut signifier aux spectateurs  que l'imaginaire prend le pouvoir  sur le rationnel.
Ensuite, nous allons découvrir les autres personnages et entrer dans leurs mondes.
Il y aurait encore tant de choses à écrire sur ce film.
J'aime également le choeur des femmes assises près du robinet d'eau. Elles commentent souvent l'action (c'est le rôle d'un choeur, non?)  présentent  aussi des personnages en donnant des informations sur sa vie etc.. et font donc progresser l'intrigue.


Bon , maintenant, la ligne de fuite.
Chez Kurosawa, avant ce film, les acteurs sont tous enfermés dans des cadres précis.
(Relisez mon article sur Entre le Ciel et l'Enfer)
 Dans Dodes-Kaden, tourné pour la première fois en couleur, l'auteur semble donner la liberté à tous ces personnages . Une liberté précaire car on voit mal où ils pourraient se rendre, mais une liberté tout de même. Il y a dans ce bidonville plusieurs ligne de fuite  bien visibles.
Faut-il donc en conclure que Le grand Kurosawa veut nous signifier, comme Fellini, un autre grand, que le salut se trouve dans l'imaginaire? 
Je ne peux répondre à cette question. 
Pour tout savoir, lisez la critique.
Je vous quitte, je viens d'avoir la merveilleuse vision d'un monde magnifique.
Un monde ou les enfants mangent à leur faim, sans massacres ni génocide, bref, un monde sans homme.
Julius Marx

(1)  Lecteurs assidus de ce blog.Vous savez aussi que je vous envie, vous avez encore tant de choses à découvrir, bandes de veinards.

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