jeudi 23 août 2012

Le monde d'avant



"Marcel Marx, ex-écrivain, s'est exilé volontairement dans la ville portuaire du Havre où son métier honorable mais non rémunérateur de cireur de chaussures lui donne le sentiment d'être plus proche du peuple en le servant. Le destin met brusquement sur son chemin un enfant immigré originaire d'Afrique noire."
Ceci est le résumé du film "Le Havre" de Aki Kaurismäki. Pour le transformer en synopsis j'y ajouterai la seule phrase : " Il endosse la responsabilité (toute paternelle) du gamin et se donne pour mission de lui faire traverser la Manche pour retrouver sa famille." Et, peut-être, mais, dans le seul but de faire naître la légitime attente du spectateur, j'achèverai le texte par : "mais, dans ce monde, rien n'est simple..."
Oui, ce monde, parlons-en. Le personnage de Marcel Marx ( aucun lien de parenté avec Julius) est un homme qui vit dans un  autre monde. Il s'est crée son propre univers où les habitants de l'autre monde (le réel) n'existent pas.
La bonne inspiration de monsieur K c'est bien d'avoir remarquablement matérialisé l'univers du personnage.
Dans un premier temps, il y a bien entendu le décor: la seule ville du Havre, avec sa lumière si particulière, ses rues, ses magasins etc.
Puis, les personnages:  petits commerçants, tenancières de bistrot, pêcheurs, boulangères avenantes. Bref, tout un peuple victime  d'un génocide culturel dont les individus, évidemment, n'existent plus que dans la tête de Marcel Marx.
Enfin, les objets : téléphone en bakélite, meubles, tourne-disque (la scène où le gamin écoute, immobile, transi, un disque de blues est d'une émotion forte, puissante, et évocatrice).
Pour accomplir sa mission, notre homme va donc devoir se confronter au monde extérieur (celui du développement, du progrès)
Pour l'aider dans sa quête, le personnage du commissaire de police (JP.Darroussin) semble servir de lien entre les deux mondes. S'il s'exprime comme un être d'aujourd'hui, il s'habille et se comporte comme un homme d'avant. Et, c'est aussi grâce à lui que la quête va réussir.
Pour le reste, je ne comprends pas pourquoi les scènes ne sont pas jouées complètement, et aussi pourquoi les acteurs ont tous l'air d'avoir avalé un sabre, mais... qu'importe!
Même si la maestria du réalisateur n'est pas aussi imaginative et  poétique que celle d'un Takeshi Kitano (voir article plus haut) on peut tout de même considérer que Le Havre est un vrai film de cinéma avec une vraie émotion et un vrai contenu. Vous avez parfaitement raison, ce n'est pas si courant. Quant à vivre au Havre, vous m'avez bien regardé? 
Allez, ma grande, remet-nous çà !
Julius Marx

mardi 7 août 2012

Takeshi Kitano



Il y a deux ans de cela, sous l'impulsion de ma fille cadette, je visitais une exposition consacrée à l'artiste japonais Takeshi Kitano. Le créateur était présenté comme une espèce de touche à tout génial ; peintures, assemblages divers, constructions totalement déjantées, et même, producteur et animateur de programmes de télévision venus d'une autre planète.
Mais, c'est à la librairie du musée que je pêchais l'information la plus importante pour moi.
Dans un petit bouquin consacré à son oeuvre cinématographique, je lisais la préface élogieuse du grand Maître Akira kurosawa. C'était, à mon sens, une raison largement suffisante pour découvrir au plus vite le boulot du petit Maître Takeshi.
La première bonne surprise c'est que le genre préféré du monsieur pour "s'extérioriser" est le film noir. Le genre de film où l'on débute avec, en gros, une vingtaine de personnages pour finir avec un seul couple de survivant sur le sommet du Fuji-Yama.
Ultra-violence, corruption, agitation sociale, mafia ; bref, tous les ingrédients réunis pour réaliser un très bon film de genre.
Mais, Kitano, comme Kurosawa avant lui, se sert du genre plutôt qu'il ne le sert.
Parlons de Hana-bi , par exemple, tourné en 1997. Allez, un petit résumé pour nos amis qui n'ont pas encore vu le film.
"Au cours d'une mission, l'inspecteur Nishi lâche son ami et collègue Horibe pour se rendre au chevet de sa femme à l'hôpital, où on lui apprend qu'elle est condamnée par un cancer. Nishi est doublement choqué lorsqu'on l'informe que, pendant ce temps, Horibe a été gravement blessé lors d'une fusillade avec des malfrats. Horibe est désormais cloué dans un fauteuil roulant, et aimerait se remettre à la peinture, mais n'a pas les moyens de s'acheter le matériel nécessaire. Et sa femme l'a quitté, avec sa fille, incapable de supporter cette situation.
Nishi, rongé par un sentiment de culpabilité, quitte la police et emprunte de l'argent à un yakuza, afin de pouvoir payer le matériel de peinture à son ami et les frais d'hospitalisation de sa femme. N'ayant pas l'argent pour rembourser le yakuza, qui le fait poursuivre par ses sous-fifres, Nishi décide de braquer une banque, et va chercher dans une casse une sirène de police et un taxi volé, qu'il repeint en voiture de police. Il réussit le braquage sans difficultés et envoie le matériel de peinture à Horibe, tout en remboursant le yakuza.
Tandis qu'Horibe s'absorbe dans sa peinture fantastique, Nishi emmène sa femme dans la montagne enneigée, et organise un feu d'artifice pas très réussi. Ils vont au bord de la mer, mais ils sont rattrapés par les yakuzas puis par la police. Le voyage se termine par un double suicide."
(Résumé toujours copié-collé sur le site du Cinéclubdecaen)
Bon , maintenant que nous avons tous une idée de l'histoire, tâchons d'avoir un aperçu du mode de fonctionnement de l'astucieux Takeshi.
Dans un premier temps, il nous plonge dans un polar que l'on pourrait qualifier de classique et dont le prétexte pourrait être emprunté, par exemple, à la série des Mitch Tobin, écrite par  Donald Westlake (cherchez vous-même les références, vous n'avez que ça à faire, c'est les vacances).
Mais, très vite ( a peu près à la fin de la première séquence de présentation) le spectateur est appelé à se laisser lentement dériver loin de la plage. Les états-d'âme du personnage se retrouvent soudainement matérialisées sur l'écran ; c'est l'appel du large! Le flic, incarné par Kitano lui même, se rend donc dans le terrier du lapin pour notre plus grand plaisir. Sa vision vient s'insérer dans la plupart des scènes et le récit jusque là, quasi- linéaire, devient une narration à plusieurs niveaux de lecture. A tous ceux qui tentent de le faire revenir vers la pénible réalité, il répond toujours avec la même obstination : balle dans la tête, cailloux dans un linge propulsé a grande vitesse sur un front offert ou crayon impeccablement taillé enfoncé dans un oeil exorbité. Ce qui prime, c'est le beau, le poétique, l'irrationnel. 
Mais, bien entendu dans notre monde, même en état de décomposition avancé, ces choses-là ne doivent absolument pas  venir prendre une place aussi importante. La loi et l'ordre  reprendront donc leur suprématie. Vous connaissez maintenant la phrase type de conclusion pour ce genre de 
vaticination... bientôt un ordre nouveau va dissoudre tous les retards et satisfaire toutes les impatiences...
Sayonara.
Julius Marx