jeudi 27 novembre 2014

Tas de feignants !




C’est amusant de voir comment  la grande majorité des auteurs-réalisateurs  contemporains en voulant jouer la modernité  se cassent les dents sur les mêmes écueils, se rongent les ongles sur des problèmes apparus dès la naissance du cinéma et  finissent tous par perdre la tête pour ne  pondre, finalement, qu’un téléfilm aux structures éculées.
La nouvelle tendance (gardez tout de même en tête, amis lecteurs, que ce qui est nouveau pour moi, ne l’est peut-être pas pour vous, nantis occidentaux) semble bien être la présentation du personnage principal par lui-même. C’est à l’évidence avec cette autre mode du biopic qu’est apparue cette fâcheuse manie. Grâce à une voix off, voici notre héros qui raconte tout ou presque sur son auguste personne. Son enfance dans un quartier « mal choisi pour mourir et encore moins pour vivre » (celle-ci, je l’ai piqué à Prudon. Si vous n’avez pas encore lu Hervé Prudon, lisez, lisez…)  de sa scarlatine à huit ans aux dérives lubriques de sa fougueuse première petite copine. Tout ceci, bien entendu, dans un souci  d’efficacité que seuls les aigris, les grincheux, les rabat-joie ou les sourds s’obstinent encore à contester, même si le réalisateur prévoyant a, bien entendu, pensé à illustrer l’ensemble avec de bien belles images comme on en voit dans les sujets du journal télévisé. Mais pour son malheur, et le nôtre, ce procédé ne peut remplacer le travail d’écriture d’une vraie exposition. Vous l’avez compris, cette prise de contact avec le personnage et son univers est primordiale. Sans la présentation, le spectateur ne participe pas à la quête du personnage et  il n’est plus qu’un type seul, assis sur le banc d’une gare de banlieue, regardant défiler les contingents de voyageurs las, abrutis par leur journée de labeur, en mastiquant son sandwich sncf.
Mais, je ne m’étonne guère du travail bâclé de ces auteurs. Ils ne sont que les  tristes rejetons d’un monde où l’émotion est bannie au profit du langage de la communication et de la publicité. Il faut être productif, rendre sa copie avant les autres, c’est ça la concurrence, mon bon monsieur, la mondialisation : vous avez  bien dû en  entendre parler, non ?
Ainsi, dans le Mr Nice de Bernard Rose (2011) le personnage se présente puis, nous abandonne à notre triste sort. Le film raconte l’incroyable histoire de Howard Marks un dealer des années soixante-dix. La vie de cet homme a probablement été incroyable, je l’admets volontiers, mais, le film lui, ne l’est pas du tout. C’est ainsi, quand  le cinéma s’empare d’un livre aux multiples rebondissements, il doit à tout prix faire des ellipses, couper sans remords dans le texte. Un exemple ? Bien volontiers.  Dans son bouquin, le vrai Marks avoue avoir endossé pas loin de 43 identités pour exercer son art. Dans le film nous n’en comptons que trois. Le cinéma se doit d’être plus grand que la vie, alors, pourquoi vouloir absolument adapter ce type de récit ? Simplement par paresse ? Peut-être bien, mais aussi par manque cruel de talent. Un vrai scénariste va tenter de dénicher un contenu et une personnalité pour adapter le texte en fonction et non pas  se contenter de cette  succession de séquences, si laborieuse et conventionnelle que nous avons hâte de voir les bouledogues de la police parvenir enfin à coincer l’hurluberlu.  Au passage, notre tendance à l’anarchie en prend un sacré coup dans le buffet et nous sommes très énervés.
Dans le Crimen Ferpecto Le Crime Farpait (Alex de la Iglesia-2005) (vous voyez bien que mon actualité n’est pas la vôtre) le personnage principal se présente également. Dans toute la séquence, il s’adresse directement aux spectateurs en allant  même jusqu’à livrer sa quête. Le réalisateur fripon qui a  probablement imaginé ce stratagème en visionnant un épisode d’une émission de télé-réalité (dont il se moque quelques séquences plus loin) pense certainement que ce petit tour de magie vient de lui faire gagner un temps précieux. Il a tort, bien entendu. Le reste du film hésite entre une comédie burlesque, un thriller et une critique sociale. Ce que va faire et devenir son personnage, nous nous en moquons comme de ce foutu Colonel Moutarde qui se fait trucider dans la bibliothèque.
Mais oui, chérie, je me calme. 
Tiens, sers moi donc un Campari avec des glaçons. S'il te plaît.

Julius Marx

jeudi 13 novembre 2014

Saltimbanque



-Je voudrais te poser une question, dit Teymour. Tu ne regrettes jamais ton métier d’acteur ?
-Pas du tout, répondit Imtaz. Au contraire. Je me félicite chaque jour d’avoir tout abandonné. Faire un métier, n’importe lequel, est un esclavage. Et la gloire ? En vérité, je n’avais aucune ambition. Il faut une âme basse pour souhaiter la célébrité dans un monde aussi débile. Exhiber son talent ou paraître glorieux ? Devant qui ? Tu peux me le dire ?

Albert Cossery
Un complot de saltimbanques
(Joëlle Losfeld)

mardi 11 novembre 2014

Pompeux


Le film La ligne rouge de Terrence Malick pose une ribambelle de questions comme : pourquoi la guerre, pourquoi les hommes ont-ils cet instinct de mort, d’où peut bien venir ce besoin de s’entretuer alors que notre monde est si pur, si beau ? Le problème de ce film et de ses questions c’est que nous connaissons  déjà à peu près toutes les réponses. De fait, ce questionnement apparaît vain et d’une naïveté rarement égalée.
Pour questionner, Monsieur Malik  choisit le pompeux. Ralentis, raccords incertains, musique d’ascenseur omniprésente, gros plans sur la faune et la flore et : voix off en veux- tu… en voilà !  Alors, pour ne pas sombrer dans un sommeil réparateur, nous nous concentrons sur les scènes d’action proprement filmées, les différents plans rapprochés des soldats envoyés sur le front et les paysages magnifiques. Ici, la nature semble constamment en action, les lieux en mouvement perpétuel.
Le  véritable problème d’un film de genre comme celui-ci reste : le choix. Un auteur doit se demander comment aborder le sujet. Parlerons-nous des hommes, des causes, du  seul conflit etc…
Dans l’indispensable Deer Hunter de Cimino, par exemple, l’auteur choisit de s’intéresser aux hommes. Ces hommes, tous ouvriers dans une ville sidérurgique si laide  et malfaisante que l’on en arrive parfois à se demander s’ils n’ont pas échappés  au pire en partant pour la guerre, sont divisés. Leurs divisions vont évidemment s’accentuer avec la lourde épreuve qu’ils vont devoir subir avec le faible espoir de rester en vie. La question est : pourquoi acceptent-ils leur sort ? 
On peut avancer sans grand risque de se tromper que grâce à ce conflit le processus va s’accélérer et qu’ils vont plonger un peu plus rapidement dans le gouffre qui s’ouvre devant eux.
Alors, vivre une vie de labeur où, dans  le meilleur des cas, ils ne vont pas mourir à quarante ans d’alcoolisme ou des différentes maladies liées à leur boulot sordide, ou bien périr dans une jungle hostile pour un cartel de financiers qui font passer la destruction de la valeur pour du développement ? La célèbre scène de la roulette russe dans un tripot de Saïgon  ne résume-t-elle pas parfaitement leur situation ? 
Ces hommes se retrouvent bien à la place du grand cerf qu’ils vont chasser en groupe avant leur départ. Ils sont tous dans le viseur du chasseur.
Résumons-nous. Nous conseillons donc à Monsieur Malick d’arrêter le cinéma et de se diriger vers la photo. Puis, de se lancer dans la lecture du Voyage au bout de la nuit. Peut-être, après sa lecture, sera-t-il autorisé à pisser avec nous, dans la Seine.

Julius Marx