samedi 24 octobre 2015

Une femme ouverte à la lumière

J'ai lu ceci et je me devais de vous le faire partager. Lisez donc ce magnifique texte d'une femme "ouverte à la lumière".




"D’abord un visage d’une femme jeune, Lucy Muir (Gene Tierney), son expression, une attente presque lucide de l’inattendu. Un décor : la mer ; une côte ; un cottage  à louer hanté par une présence surnaturelle. J’ai toujours eu un faible pour le surnaturel, et quand je dis toujours, c’est parce que cela dure depuis  mon enfance. Aujourd’hui j’avoue que j’ai cultivé ce faible, qui sans aucun doute cache un désir, une attente quelque part dans le subconscient. Une situation de solitude soudaine, un deuil, un entourage hostile, produisent une atmosphère étouffante pour cette femme si ouverte à la lumière de la vie. Quand j’ai vu le film pour la première fois j’ai compris que rien n’est plus concret, je dirais plus physique, plus charnel que l’émotion et je ne me suis pas trompée car voyez-vous, plus de trente ans plus tard, il me suffit d’évoquer quelques images du long métrage pour ressentir un état d’exaltation tel que celui qui m’avait envahie à sa vision.
L’arrivée dans la maison, la découverte du portrait d’un homme de mer, un capitaine qui semble jauger celle qui le regarde, déclenche en elle un sentiment de défi probablement dû à sa jeunesse et sa féminité. Il faut dire que l’homme en question, le capitaine Gregg, est incarné par Rex Harrison, un détail qui ne laisse pas indifférent. Toute la maison est habitée par cette présence. Un télescope marin près d’une baie vitrée du salon pour scruter la mer, les tempêtes, le ciel, les nuits étoilées…
Un jour, pourtant, la vie immédiate, à portée de la main, appelle à la porte du cœur de la jeune femme, et à partir de là, la présence du capitaine s’éclipsera jusqu’à une fin que probablement ni elle ni le spectateur ne prévoyaient. Une fin surnaturelle qui en même temps rend l’histoire croyable. Mais loin de moi de vouloir dévoiler ce moment final et définitif. Je crois que souvent les grandes rencontres sont un peu la conséquence d’une ample absence."
Dominique Sanda
Cahiers du Cinéma

N° 700 (Mai 2014)

mardi 20 octobre 2015

Fiasco

Article paru dans le merveilleux et très inventif périodique noir " L'Indic", dans la rubrique "ciné-club".




Salut à vous, ô grands amateurs du noir et blanc, des caramels mous et du bâtonnet glacé. Pour cette séance, nous osons nous attaquer à Stanley Kubrick en tentant d’en savoir un peu plus sur son film The Killing (L’Ultime Razzia- 1957). Oui, nous osons, parce que sur ce metteur en scène adulé par le peuple des cinéphiles tout ou presque  a déjà été dit, écrit, filmé etc…(1)
Nous n’avons pas la prétention d’expliquer une fois de plus les  modes expressionnistes de la claustrophobie, l'agoraphobie, le déséquilibre, la lutte contre l'hystérie spatiale sonore, l’utilisation de  masques effrayants et outranciers figés  propres à l’univers des héros kubrickiens, ni même d’explorer la folie destructrice du cerveau humain (certes, l’ensemble des pages de cette revue ni suffirait pas). Nous allons seulement nous occuper de nos affaires en discutant sagement ensemble, et en prenant bien garde de ne pas nous emporter, de ce beau film, bien fait, bien noir.
The Killing signifie quelque chose comme « tuerie »(2) .Ce  titre n’est pas anodin et contient déjà une vraie promesse. De façon négative ou positive, nous en déduisons qu’il va y avoir du sang, et de fait ; des espoirs déçus, des vies brisées, bref : un beau gâchis. Et le sang, mes amis, c’est bien le suc du film noir, sa substance, ce qui persiste au milieu du changement et le rend compréhensible. On peut également y ajouter le noir et blanc. A ce propos, un  ami chef opérateur m’a dit un jour que l’image noir et blanc était beaucoup  plus facile à composer que l’image couleur. Qu’importe, le noir et blanc reste à jamais l’âme du film noir. Ce chef opérateur reste mon ami, même s’il n’a pas compris le sens ma réponse.
La première séquence nous présente  Johnny Clay, un gangster qui après avoir purgé une peine de prison pour vol à main armée, veut tenter le dernier coup (rien de moins que de dérober la recette d’un champ de courses)  avant de laisser tomber  définitivement la profession. Oui, je sais que vous avez certainement déjà lu cette situation de départ dans les romans de Maître Cain,  de JimThompson (l’écrivain est crédité au générique comme l’auteur des dialogues) ou dans le mythique They Don’t dance to much de James Ross(2). Votre remarque est juste. C’est bien à ce genre de roman avec ce type de héros désabusé qui sait pertinemment  que dans cette société  injuste, le pauvre n’a d’autre choix que de se soumettre, que le film de Kubrick me fait penser. Johnny  Clay constitue son équipe. Il recrute un flic endetté, un barman avec une épouse nécessitant des soins coûteux, un caissier affligé d'une pin-up sur le retour insatisfaite  qui rêve de devenir une femme de la haute, un tireur d’élite  et un vieux poivrot sympathique. S’il subsistait un doute dans notre esprit, nous avons maintenant la certitude qu’avec ces recrues, l’entreprise, même si elle parvient à voir le jour, ne pourra que  finir mal. Si, dans un premier temps, le hold-up se déroule comme prévu, la suite est catastrophique. Les erreurs vont s’enchaîner (Johnny  ira même jusqu’à acheter une vieille valise qui ferme mal pour planquer l’argent !) Nous n’avons jamais vraiment l’impression qu’il  ne cherche à arrêter cette mécanique infernale. Il est  bel et bien seul, totalement dépassé par ce monde qu’il ne comprend plus, et à qui il n’oppose que sa force brutale. Voilà encore un des traits caractéristiques d’un personnage de James Cain. Je trouve aussi très intéressant dans ce film l’utilisation du son. Certaines séquences étant véritablement commentées par une voix off très journalistique, proche de celle du speaker du champ de course. Nous avons l’impression que ce narrateur omniscient observe faits et gestes des personnages de toute sa hauteur en nous mettant en garde si, d’aventure, nous avions nous aussi l’idée de sortir du rang pour tenter un coup du même genre.
Mais alors, quelle différence entre ce film noir de Kubrick et une bonne série B, par exemple ? me demanda un jour un  autre ami grand amateur de polar, alors que nous vidions ensemble une bouteille de Château Pradeaux 1976. Le contenu, mon cher, le contenu, fût ma réponse. Le Kubrick a une âme, l’autre seulement une structure. Avec son premier film noir Kubrick montre qu’il a assimilé les codes et les valeurs morales du polar même s’il s’inscrit déjà dans la liste (devenue longue aujourd’hui) des films « hommage » à une époque, un genre. Devant sa mine défaite, j’ajoutai encore ceci : c’est un peu la différence entre ce magnifique vin que nous partageons ce soir et un Chardonnay californien. Cet ami est toujours mon ami, même s’il lui arrive encore quelquefois d’acheter du vin californien.
N’écoutez surtout pas ce qu’on vous raconte : l’abus de contenu ne nuit pas à votre santé.
Allez en paix.
Julius Marx
(     1)    Pour les amoureux du papier glacé, un seul bouquin à conseiller : Stanley Kubrick, de  Michel Ciment (Calman-Levy)
(2)    D'après l’un de nos aimables lecteurs il peut aussi signifier « carnage et même, mise en bière  » étonnant, non ?

jeudi 15 octobre 2015

Noir, encore ?


Allez, comme çà, juste par dépit, une petite revue de films prétendus noirs et sensés nous faire frissonner.
On commence par les ricains avec Pawn. Les recettes sont connues : un chef opérateur manifestement pressé d’en finir, un montage épileptique, quelques mesures de rap, des acteurs qui ronronnent. Ensuite, on délie méthodiquement le fil de l’intrigue au rythme syndical. Chacun est payé au rebondissement et tant pis pour les clichés négatifs ou positifs ; pas le temps de traîner, de rêvasser. Si les chiffres sont bons, toute l’équipe sera convoquée pour l’épisode numéro deux, excepté peut-être un ou deux acteurs engagés dans le tournage d’une série télévisée (faut bien vivre ! Hé ho, are you silly  or what ?)  Nous ne nous attarderons donc pas sur cette petite distraction, pour l’amateur au moins. Remarquons tout de même que Forest Whitaker à encore pris du poids et que Ray Liotta tente, avec succès, d’en faire le moins possible.
Voyons maintenant ce que fabriquent nos amis français de la vieille Europe ; ces petits êtres sensibles encore bêtement préoccupés par la chose artistique. Vous le savez, toutes les entreprises qui tentent de rendre compte de la réalité ne nous intéressent point. Dans son film Gansters, le réalisateur veut nous entretenir (via une intrigue simpliste où il est question de trahison et de diams) du quotidien des fonctionnaires de la police. La réalité des flics de la maison poulaga est salement inintéressante, et leurs vies désespérantes de mièvrerie. Résultat : l’ensemble est donc simplement affligeant.  Ici encore on peut noter le cruel manque de scénariste. Nous ne savons rien, ou presque, des différents personnages et surtout, ce qui pousse ces jeunes gens à supprimer leur prochain. De plus, les rebondissements dégringolent du ciel comme une perruque sur un bol de soupe instantanée.
Pour Miserere (La marque des Anges) l’auteur adopte l’autre méthode ; celle de « l’ambiance glauque et images sombres ». A partir d’une situation initiale totalement inimaginable et pour le moins farfelue, deux flics (un jeune et un vieux) se lancent aux trousses d’une bande de gamins tueurs. L’ensemble est tellement grotesque que les acteurs eux-mêmes, semblent se demander s’ils ne sont pas en train de tourner dans une parodie du genre. Pendant ce temps-là, le réalisateur (pardonnez-moi, l’auteur) tente de nous faire croire qu’il sait ce qu’il fait en balançant de la pluie, la nuit,  sur des pavés mouillés, ah, le malheureux !  Bref, un tel déballage de poncifs qu’on se croirait  aux Galeries Lafayette !
Imaginez mon état physique et moral après ces 48 heures passées à visionner de tels chefs-d’œuvre. Quelques jours plus tard extrêmement las, au bord du gouffre et à deux doigts de regarder un vieux match de foot,  je décidai de me replonger dans les années 80  avec Les mois d’avril sont meurtriers tiré du formidable roman de Robin Cook. Si les auteurs du script (Philippe BoucherLaurent Heynemann et Bertrand Tavernier ) ont eu la sagesse de conserver plusieurs lignes du texte d’origine on peut constater que le réalisateur lui (je ne sais si on l’appelait déjà auteur) a recherché le rythme, le bon tempo. Malheureusement pour nous, il ne l’a pas trouvé et l’ensemble pédale largement dans la graine à couscous avec, en plus, ces quelques notes d’une mélodie omniprésente qui finissent par méchamment nous irriter. L’homme s’est manifestement concentré sur les lieux du drame et sur les décors. Si les locaux des flics et des voyous sont totalement dépouillés, ceux des pauvres croulent sous les bibelots etc… Le but étant de créer, je pense, ce fameux univers noir. Heureusement Jean-Pierre Marielle, à lui seul, sublime la réalité et parvient à hisser le tout, sur ses larges épaules, jusqu'à la case Noir. Du coup, je me suis régalé en relisant le bouquin de Cook.

De là à affirmer que le cinéma « noir » est devenu un cinéma de distraction fabriqué par des distraits, allez savoir…
Julius Marx

vendredi 2 octobre 2015

Surréaliste



Cette semaine, si j’ai butiné aux confins de l’infernale machine Internet, ce n’est pas uniquement pour vous, chers lecteurs assidus de ce blog, mais plutôt pour y puiser mon indispensable et homéopathique dose de  vaine distraction.
Pour visionner calmement quelques petites choses gentilles et sans grand intérêt, il faut, dans un premier temps, envoyer valser sans ménagement la petite centaine de documents consacrés aux épuisantes théories du complot, aux devins, aux marchands des différents temples, aux sanctuaires. Sans oublier, bien entendu, les publicités pour la crème à raser où les téléphones portables venus d’une autre galaxie.
Epuisé, mais satisfait du travail accompli, je visionnais donc le film  Caché qui, il faut bien l’admettre, aurait mieux fait de le rester, justement. Ce pur produit estampillé cinéma  d’auteur vous laisse abasourdi dès le générique de fin et, en dégringolant du canapé sur lequel vous venez de gâcher une heure et quelques minutes de votre vie, vous vous demandez forcément si les types responsables de l’avance sur recette, les chaînes de télévision, le conseil général de… etc. ne sont pas tous devenus totalement maboules. Excusez mon emportement, pendant ce temps-là l’intrigue s’est déroulée sans nous. Bon, pas de panique, quelques minutes suffisent pour la rattraper.
Georges Laurent, anime une émission littéraire sur une chaîne de télévision. Il vit paisiblement dans une villa parisienne plutôt cossue. Cette tranquillité se fissure le jour où sa femme Anne et lui reçoivent une première cassette vidéo anonyme à leur domicile. Leur maison est filmée en plan fixe depuis la rue d'en face ; leur famille est observée de manière anonyme et volontairement inquiétante. Puis, d'autres cassettes, ainsi que des dessins sanguinolents leur sont adressés : une vidéo montrant le domaine agricole où Georges a passé son enfance, une autre montrant un immeuble de banlieue et un couloir qui mène jusqu'à un appartement. Puisque la police ne  peut l’aider, le courageux Georges décide alors de trouver qui lui envoie des cassettes. Bon c’est tout. Nous n’apprendrons jamais qui a bien pu envoyer ces cassettes vidéo (entre parenthèse, ce type doit être bien vieux pour se servir encore de cassette vidéo !) et Georges prendra deux cachets, fermera les rideaux de sa chambre et fera un bon gros dodo pour oublier tout cela (envoyez le générique).
Attendez, restez encore un petit moment. Le côté contenu de l’œuvre est encore plus poilant. Dans l’histoire, nous apprenons que le petit Georges de six ans a volontairement menti à ses parents. Son mensonge a envoyé son petit camarade fils d’immigrés algérien en orphelinat. Le film est donc sensé traiter, outre du rôle des images et de la télévision, de la culpabilité de la France et des français vis-à-vis de la guerre d’Algérie. Le réalisateur doit être un des seuls types dans le monde qui se préoccupe encore de la télévision et de fait, des cassettes vidéo.
Et je garde le meilleur pour le dessert. Le film a été primé  au  festival international du film de Pyongyang (Corée du Nord) et c’est bien la seule chose plutôt logique dans cette œuvre au budget de huit millions et demi d’euros, non ?
Bon, je vous laisse, je viens de me plonger dans l’écriture d’un scénario qui devrait faire sensation. Il raconte l’histoire d’un  réparateur de machine à laver qui ne mange que du Calgon en écoutant l’émission Les grosses têtes à la radio. A travers cette intrigue anecdotique c’est bien entendu de l’effet néfaste de la tsf dont je veux parler et puis aussi, il faut le dire, de …

Julius Marx