jeudi 9 mars 2017

Une petite virée dans le Nord-Dakota






Article paru dans l'excellente revue "L'indic".                         

Si le scénario est bien l’un des éléments les plus importants d’un projet cinématographique, ce qui compte avant tout c’est bien ce qu’un auteur va pouvoir en tirer. Si cette phrase vous laisse pour le moins dubitatifs, voyons ensemble un exemple précis.
L’action du film Fargo (1996-Coen Bros) se déroule dans le Nord-Dakota. Et, dans cet état l’hiver est rigoureux, c’est le moins que l’on puisse dire. Pour ce film, les deux frères Cohen (l’un scénariste, l’autre réalisateur) se servent avec une maestria rare de cet hiver-là.
Dans le film achevé, le spectateur n’a aucun mal à deviner que le premier point très important, c’est l’isolement. Dans cet immense désert blanc, très loin du tumulte des bouillantes mégapoles, les habitants ont l’habitude de vivre avec le minimum, presque reclus. De fait, les intérieurs ne sont pas aussi ouverts et accueillants que dans un village italien en période estivale. Nous comprenons également que la plupart des infos ne seront pas délivrées aussi facilement que dans une grande citée. Pour exemple, il nous suffit de visionner attentivement la scène du témoin « spontané ». L’homme, dont on ne voit jamais vraiment le visage (protégé qu’il est par une large capuche de fourrure) répond au flic qui vient l’interroger par des onomatopées en agrémentant son discours d’un grand nombre de considérations météorologiques. Quant à l’image, elle vient supporter ce concert de non-dits de façon fort efficace. Aucune ligne de fuite n’est visible dans ce paysage. Et puis, si le spectateur pense que le panneau « Stop » qu’on aperçoit très nettement dans l’image s’est retrouvé là totalement par hasard, il a tort.  Ce panneau a probablement été placé entre les deux hommes pour venir en quelque sorte, « souligner » leur dialogue de sourds. Ce genre de signes sémiologiques m’enchante et j’espère que nous aurons l’occasion d’en reparler ensemble.
Autre exemple illustrant l’isolement, la remarquable scène d’exposition du film. Vous savez maintenant que nos amis d’outre-Atlantique attachent une importance quasi-fanatique à ce set-up. La scène débute par un plan très explicite (grandes étendues de champs enneigés) dans un silence profond. Ce désert blanc évoque un univers quasi-psychotique dont le silence ne sera troublé que quelques secondes par le croassement d’un corbeau. A lui seul, ce plan indique : le lieu, le genre dramatique, et l’époque. Puis, l’arrivée de « l’intrus » (la voiture remorquée par le personnage principal) vient cristalliser l’action.
Le second point important, c’est la neige. Elle devient même au fil des scènes un des éléments constitutifs de l’intrigue. La plupart des personnages agissent ou réagissent très souvent en fonction de la neige. Tout d’abord, le personnage principal qui ne manque jamais de se taper les pieds avant d’entrer chez lui ou dans un café, nous montrant du même coup son aliénation et sa soumission, bien avant que l’on ne soit en mesure de profiter de son tout premier dialogue. La neige encore, ou plus globalement les conditions extrêmes, à l’origine de fort belles scènes ou de très beaux plans : le malfrat qui produit beaucoup d’efforts pour enterrer son magot dans le sol gelé, le personnage principal, encore lui, qui passe sa colère sur son pare-brise envahi par le givre, ou cette voiture isolée sur un immense parking enneigé. Mais surtout, cette neige tachée de sang lors de la scène de résolution entre les policiers et les malfrats.
Enfin, ultime point dont j’aimerai vous entretenir : le IN/OUT. Pour tenter de comprendre le parti-pris des deux auteurs, il nous suffit simplement de visionner attentivement les scènes intérieur et extérieur et de les opposer. Ainsi, nous remarquons assez rapidement que si les extérieurs utilisent habilement « les grands espaces », les intérieurs s’appliquent à faire vivre les protagonistes dans un univers très souvent restreint. Ils semblent enfermés dans une boite dont ils ne pourront sortir qu’à condition de transgresser les règles. Cette géométrie se retrouve dans la plupart des films de Kurosawa, pour ne citer qu’un seul exemple, et vient encore renforcer cet « effet » d’isolement, rendu merveilleusement crédible par les éléments dont nous parlions plus haut.
Là-dessus, je vous souhaite une bonne soirée et vous recommande vivement d’enfiler vos moufles et de nouer votre écharpe avant de sortir.

Julius Marx