mardi 15 septembre 2020

Quelle chance !




 

Oui, quel bonheur, maintenant que me voilà revenu dans le pays de l’exception culturel et du cinéma d’auteur de pouvoir enfin visionner de vrais films. Je mesure bien l’ampleur du privilège qui m’est accordé et je vous prie de croire, amis lecteurs, que je jouis sans entrave de cette nouvelle liberté. Aussi, quand je me présente devant l’entrée d’une des quatre salles du cinéma de ma ville bien-aimée, il n’est pas rare qu’un frisson s’empare de mon corps tout entier. Soyez certain que cette sensation toute nouvelle qui s’accompagne pourtant d’un léger vertige me comble d’aise, même si je ressemble, dans ces moment-là , à un oiseau migrateur imprudent passant devant le fusil d’un imbécile.

Heureusement, une fois installé dans la salle avec mon masque sur la bouche, je me reprends vite. Il faut toute sa tête pour apprécier le travail que les artistes partagent avec nous, le public, dans un grand élan de générosité dont on ne pourra jamais les remercier comme ils le mérite. Mais, la vie d’un artiste est ainsi faite. Ils sont les anti-corps de notre société ; ceux qui nous permettrons de chasser le virus un jour prochain.

J’ai même la chance de pouvoir découvrir certain films en avant-première (insultez-moi, je le mérite!)

Ce dimanche-là, j’étais donc convié (pendant que des hordes de barbares analphabètes ronflaient devant Netflix) à la projection du film Antoinette dans les Cévennes. Dans cette œuvre nous voyons comment une jeune institutrice, à la recherche de son amant marié, se retrouve sur un parcours de randonnée avec son âne. Fascinant et envoûtant récit admirablement ponctué de répliques comme celle-ci qui ne tarderont pas à devenir cultes (comme disent les jeunes) :

-8 jours de randonnée, 800 euros.

-Ah ! 800 euros, quand même !

Mais, le fil conducteur de cette intrigue il faut pourtant le chercher ailleurs avec cette question que de nombreux philosophes se sont déjà posé avant l’auteur : « comment faire avancer cette sacrée bourrique ? »

Pourtant, ce qui reste fascinant pour l’observateur avisé c’est probablement de constater qu’aucune des scènes proposées ne sort de la réalité pour s’envoler un peu dans les montagnes et devenir poésie. Pas même les scènes où la demoiselle finit par retrouver l’amant qui donnent la surprenante impression d’avoir été filmées en caméra cachée.

J’avoue qu’à la fin de cette projection je me suis senti un peu perdu, désemparé. Serais-je resté trop longtemps loin de la culture, aurais-je perdu tout sens critique ? En avouant à ma compagne, un peu penaud, que le meilleur moment du film (et de très loin) restait pour moi la voix de Dean Martin dans le Rio Bravo d’Howard Hawks sur le générique de fin , je me suis promis de m’abonner dès le lendemain à Télérama.

Plus tard, la directrice du cinéma a procédé à un tirage au sort ; le premier prix : une journée avec un âne. Quittons-nous avec cette réplique de ma douce moitié, chuchotée dans mon oreille :

-Pffff… Moi ça fait quarante ans que je vis avec un âne.


Julius Marx