mardi 6 décembre 2016

Jeu Sublime

Article paru dans la belle revue "L'Indic" dans la rubrique "ciné-club".
                                               

                                 

Prenez place, chers amis du cinéma. Veuillez, je vous prie avoir l’extrême obligeance d’éteindre vos téléphones portables et surtout, de ne pas jeter vos bâtonnets de crème glacée sous votre siège. Même si nous avons déjà parlé ensemble de l’oeuvre d’Akira Kurosawa, c’est encore avec un réel plaisir que nous allons visionner ce soir Chien enragé (1949), premier film de ce que l’on pourrait nommer « la période  Noire » ou bien "les années Toho" du nom de la maison de production du Maître Nippon.
L’intrigue est la suivante : Nous sommes dans le Tokyo de l’après-guerre. C’est un été plutôt torride et une grande partie des personnages passe son temps à s’éponger le visage devant des ventilateurs. De la sueur donc mais aussi du sang et des larmes, nous verrons ceci plus tard. Dans un tramway bondé, le jeune policier Murakami s'aperçoit qu'on lui a volé son arme de service, ce qui est considéré comme un fait très grave. Terriblement culpabilisé, il présente sa démission à son chef. Il se pose en effet des questions d'éthique : son pistolet contenant 7 balles, combien de meurtres aura-t-il sur la conscience s'il ne retrouve pas l'arme avant qu'elle ait servi ? Son chef, loin d'accepter la démission, demande au contraire au jeune policier d'effectuer lui-même l'enquête sur ce vol, avec l'aide d'un policier beaucoup plus âgé et plus expérimenté, le commissaire Sato.
Comme vous devez le penser, puisque nous parlons d'un film noir, cette quête initiatique du jeune engagé et de son aîné forcément plus philosophe et réfléchi va nous mener dans les bas-fonds de la ville, au milieu d’une population qui survit difficilement à la défaite et de marginaux prêts à tout, pour simplement rester en vie.
Côté image, la narration est, comme à l’habitude chez Kurosawa, terriblement efficace et d’une géométrie rigoureuse. Sans que beaucoup de paroles soient échangées nous comprenons les sentiments de chacun des protagonistes. La force brutale, souvent proche de la folie, qui s’échappe de toutes les scènes ne nous surprend pas. Même si on ne peut la justifier (vous connaissez probablement la fameuse phrase « ne réponds pas à l’insensé par la folie, de peur de lui ressembler ») (1) elle peut se définir pourtant comme le seul remède, l’unique réponse à l’injustice.
Côté contenu ; cette force justement, ce dérèglement des consciences, cette violence démesurée, est magnifiquement sublimée par quelques notes de pure poésie qui viennent toujours triompher de la vulgarité et de la barbarie. Nous pouvons ainsi nous permettre de comparer ce style flamboyant à un texte de James Ellroy ou cette invention stylistique vient souvent briser notre désir d’abandonner, au bord de la nausée, les personnages fanatiques et schizophrènes du maître de Los Angeles à leur triste destin.
L’exemple le plus frappant de cette narration-sublimée  reste la merveilleuse scène de résolution du film. Le jeune policier finit par surprendre le voleur, Yusa. Les deux hommes sont assez proches. Ils ont sensiblement le même âge et, même s'ils n'ont pas suivis le même chemin, ils se retrouvent  aussi seuls et désemparés à leur retour de la guerre. La scène débute dans une gare, à l'aube. Une poursuite s'ensuit dans la nature. Le duel s’engage dans les hautes herbes puis dans un champ de fleurs, au son d'un piano voisin... Finalement, Murakami passe les menottes à Yusa et les deux hommes s'écroulent, épuisés, les yeux perdus dans un ciel opaque.
 " Chien perdu devient enragé… ", dit le sage commissaire Sato à son jeune et fougueux collègue, en guise d’épilogue.
Ah ! Mes amis, comme tout ceci est sublime et sublimé !
Vous pouvez maintenant rallumez vos portables. Si l’un d’entre vous veut m’offrir un caramel Dupont d’Isigny, je ne dis pas non.
Julius Marx

(     1:   Phrase biblique d’avant-propos citée par Georges Orwell dans son livre Hommage à la Catalogne. Suivie immédiatement par celle-ci « Répond à l’insensé selon sa folie afin qu’il ne s’imagine pas être sage. »
        Et puisque nous parlons de citations littéraires, permettez-moi de vous apprendre (peut-être) que le titre de cet article est une facétie bien innocente imaginée d'après le beau poème de Benjamin Péret "Je sublime".

dimanche 20 novembre 2016

Cahiers de Cinéma (5)








Surprenant

J’ai toujours défendu l’idée qu’aucun scénariste n’avait fait le bon choix en adaptant les bouquins de Donald Westlake. A mon sens, il manque toujours l’ironie et le cynisme qui font de Westlake un grand parmi les grands. Pour Richard Stark (Westlake toujours, mais avec la signature Stark et le héros Parker) le boulot est un peu plus simple. Les types chargés de construire une ligne dramatique cohérente sont des tire-au-flanc. La plupart des intrigues de Stark/Parker se déroulent comme suit : Parker (un méchant loup solitaire, sans trop de morale) cherche un boulot. Un de ses potes lui signale un coup. Parker recrute, organise et décide tout ou presque, jusqu’à la qualité des cagoules portées par ses hommes et l’endroit où se fera le partage du butin. En règle générale, le coup se passe sans trop de problème mais, un détail vient toujours tourmenter l’organisateur en chef. Parker doit donc régler ce détail (en gros, il est amené à supprimer un homme ou plusieurs.) Puis, Parker repart vers de nouvelles aventures. Les intrigues sont toutes de véritables « machines de guerre » et c’est à peine si le scénariste peut supprimer une virgule par-ci, par là. Il suffit donc aux feignants sus nommés de recopier soigneusement le bouquin choisi et de signer en bas de page. Pourtant, le résultat est trop souvent médiocre. Peut-être bien parce que le personnage de Parker est un poil trop caricatural, allez savoir ! Pourtant, en tombant tout à fait par hasard sur le film Mise à sac (1967) de Alain Cavalier d’après The Score (adaptation Cavalier et Claude Sautet), croyez-le si vous voulez, je fus très agréablement surpris. Parker se retrouve dans un petit bled de l’Isère et avec une bande de malfrats prend totalement possession du patelin. Ce putsch diablement astucieux permet aux amis de Parker de cambrioler les deux banques, la Caisse d’Epargne et l’usine, sans oublier le supermarché. Là encore, un détail « humain » viendra semer la zizanie dans cette belle organisation. Avec une grande intelligence, le réalisateur nous présente chaque membre du commando, à commencer par Parker        ( beaucoup plus crédible sous les traits de Michel Constantin que sous ceux de l’énigmatique culturiste Stratham) et puis, enchaîne très vite sur l’action, le film finissant par se lire comme un bouquin de Stark , c’est-à-dire très rapidement, avec une épatante jubilation.  Ajoutons que le montage très soigné accélère encore le mouvement. Ce tourbillon ne finissant que quelques secondes seulement avant le mot fin. Je ne peux malheureusement pas vous entretenir de l’image car la version proposée par l’amateur youtoubien était assez pitoyable, hélas.

Surprenant (2)
Dans l’avion qui me ramenai au Caire, deux films ont attirés mon attention : Le dernier Ken Loach et Camping 3. J’ai choisi Camping 3, qui traite lui aussi d’une amère réalité mais avec un peu plus d’humour.

Risible

Vu MR73 de l’ancien flic devenu cinéaste. Aussi poilant que la saga de la septième compagnie et bien moins crédible que Les Charlots font l’Espagne. Alors, je me suis souvenu de la phrase de Manchette : « Lorsque le monde aura fini d’être frivole, les polars le deviendront. »  Réfléchissez là-dessus et on se recontacte au plus vite. D’ici là, lisez, ou relisez la totalité des bouquins de Westlake. C’est un ordre !
Julius Marx

mercredi 21 septembre 2016

Le Polar, adaptez-le intelligemment, ou quittez-le !




 Article paru dans l'indispensable revue "L'indic" (édition revue et corrigée)
(Ciné-club)

Le Principe de Kane

Amis de la pellicule et du strapontin, bonsoir. Cette séance sera consacrée à deux films intimement liés : Les Tueurs (The Killers, 1945) de Robert Siodmak et À bout portant (The Killers, 1964) de Don Siegel. Mais, avant de parler de ces deux adaptations cinématographiques différentes de la même nouvelle de Ernest Hemingway publiée pour la première fois en 1927(1) résumons dans un premier temps ce texte original de Hem. (2)
Dans les années 20, deux tueurs débarquent dans un petit restaurant de la banlieue de Chicago. Ils menacent, puis ligotent George, le serveur, Sam, le cuisinier noir, et Nick Adams (un personnage que l’on retrouve dans plusieurs nouvelles du maître). Le contrat des deux tueurs est de liquider Ole Anderson, un ancien boxeur d’origine suédoise. Mais, ce soir-là, Anderson ne se présente pas, et les deux tueurs repartent bredouille. Après leur départ, Adams court avertir Anderson du danger qui le menace. Bien qu'il lui explique clairement la situation, Nick constate que le Suédois ne réagit pas : est-il terrorisé, indifférent ou défaitiste ? Devant le mutisme d'Anderson, Nick prend conscience surtout de l'inutilité de sa démarche.
 Le nœud dramatique de cette nouvelle se trouve donc dans la réaction même du principal intéressé et pose cette unique question : pourquoi semble-t-il totalement indifférent à ce qui l’attends ? Les deux adaptations dont nous allons parler maintenant ont toutes les deux ce même plot-point (3) et la même hypothèse dramatique. Dans le film de Siodmak la quête est menée comme une véritable chasse grâce à James Readon, l’employé tenace et appliqué d’une compagnie d’assurance. Chez Don Siegel, c’est l’un des tueurs, très intrigué par la réaction imprévisible de sa cible mais aussi par le montant de son « cachet » très élevé pour ce travail, qui cherche à comprendre. Siodmak choisit la technique du flash-back (11 dans toute la ligne dramatique) pour faire progresser l’intrigue. Il apparaît clairement que son personnage d’enquêteur est un parent très proche du journaliste de Citizen Kane recherchant la signification du mot Rosebud, prononcé par Kane avant de mourir. Proche aussi par la même technique (6 flash-back dans Kane), par les cadrages et les très fameuses et commentées profondeurs de champ. Mais, il faut également noter que dans cette quête/enquête les personnages interrogés par Readon ont eux-aussi une fâcheuse tendance à se contredire comme ceux que va retrouver le journaliste Thompson de Citizen Kane.  Quant à Don Siegel il utilise lui-aussi trois flash-back directs, sans aucune liaison technique. Le rythme est donc beaucoup plus rapide. Notons également que si Siodmak Conserve le personnage du boxeur, Siegel le transforme en coureur automobile, quand je vous disais que tout allait plus vite ! Deux versions opposées, qui situent remarquablement le temps écoulé entre ces deux films. Siodmak, c’est le symbole de l’art industriel tel que le pratiquait Hollywood, du noir et blanc flamboyant et des répliques ciselées. Ses deux interprètes principaux (Ava Gardner et Burt Lancaster) sont deux fauves en cage. Et puis, pour une femme comme Ava, sachez que je n’hésiterai pas une seule seconde à me faire naturaliser suédois.
Près de 20 ans plus tard, Siegel est plus proche des cinéastes d’aujourd’hui surtout par son rythme mais aussi par sa violence gratuite et sa démesure. Pour exemple, citons les deux scènes clés d’introduction et de résolution, remarquables dans leur apparente simplicité. Dans la première, les deux tueurs viennent dénicher leur proie dans un centre pour aveugles, portant eux-mêmes des lunettes noires. Quant à celle qui clôt l’intrigue, c’est une violence froide et soudaine qui nous surprend. On pense bien entendu à Sam Peckinpah et plus tard aux Coen Bros de Blood Simple. Mais, ce qui frappe le plus, c’est ce qui sépare les deux couples dans ces deux films. Si dans le duo Ava/ Lancaster il est beaucoup question d’érotisme et de violence contenue, dans le couple Lee Marvin/ Faye Dunaway, on ne parle uniquement que du magot et l’on hésite pas à cogner pour obtenir des renseignements. Le sieur Marvin se permettant même après avoir refroidi Ronald Reagan, de molester la belle dame, certes félonne et traitresse, mais tout de même !  
En résumé, on peut préférer l’une ou l’autre époque pour diverses raisons mais on se doit aussi de saluer la justesse de ces deux adaptations. Car voyez-vous, mes amis, je pense que si un scénariste tentait l’aventure de se priver du nœud dramatique originel et des retours en arrière dont nous parlions au tout début de notre conversation, pour tenter de raconter cette histoire d’une manière plus linéaire, il risquerait fort de se brûler les ailes.
God Kväll alla

Julius Marx 

(1)   Mais que vous pouvez lire dans la très élégante collection Quarto chez Gallimard (1999). Je vous conseille par la même occasion d’accorder une attention toute particulière à la nouvelle, La Capitale du monde.

(2)   Côté adaptation cinématographique nous devons citer également un court métrage soviétique réalisé par Andreï Tarkovski en 1956 et le film de Todd Huskisson en 1998.
(3)   Plot-point ou (point du complot) c’est l’action, le détail, qui pousse le personnage principal à agir. Il détermine donc la quête.
Images : Vous rigolez, non!

jeudi 1 septembre 2016

La loi des séries


                                            
Il semble bien que les séries policières soient un sujet d’actualité. Certains vont même jusqu’à affirmer qu’elles renouvellent notre genre, celui que nous chérissons tant. Vous le savez, mon dévouement est total.  Alors, uniquement pour vous, j’ai visionné un nombre impressionnant d’épisodes de ces séries françaises, ricaines ou britishs. Autant le dire tout de suite, rien de tout cela ne m’a paru vraiment nouveau. Mais, tentons tout d’abord d’expliquer ce succès.
La première raison est familiale. Devant sa série préférée, le spectateur retrouve une famille, celle des personnages. Le rythme hebdomadaire correspondant, a peu de choses près, à celui d’une famille modèle se rendant au traditionnel repas dominical chez les parents ou les beaux-parents. Au moins, devant sa télé à écran plat, le mari n’a nullement besoin de s’habiller ni d’acheter une tarte aux cerises chez le boulanger du coin. Notons également qu’il retrouve un peu plus d’action que dans la salle à manger de sa belle-mère après l’apéro et les cacahuètes salées.
Et puis, il y a les intrigues que les scénaristes des autres films dits classiques ont tellement négligées   depuis si  longtemps.  Les personnages sont à l’évidence plus grands que la vie. Dans nos vies justement,   si lisses et organisées ( c’est à peine si l’on croise un petit voleur roumain par semaine dans les couloirs du RER D ) il est  tellement  excitant  et palpitant de partager , même pour une cinquantaine de minutes seulement,  la vie d’un vrai  dealer de crack, d’un serial-killer qui aime les ours en peluche  ou d’ un profileur capable de déterminer en une seule fraction de seconde que le type allongé devant lui sur la moquette, avec  un couteau enfoncé  dans le sternum,  est un amateur de choucroute garnie et vient d’acquérir  une  magnifique résidence secondaire dans le Lubéron.
Oui, la fiction a bien le pouvoir de transformer l’homo-sapiens en héros. Devant son poste, le bourgeois de Charleville redevient poète, le receveur municipal de la mairie de Rochefort s’en va courir les océans et le paysan de l’Aude s’improvise trafiquant d’esclaves. Ainsi les producteurs avisés proposent aux spectateurs une autre vie, fantasmée bien sûr, mais une autre vie tout de même, et ce n’est pas rien.
 L’homme des séries est un costaud, il tue ses ennemis sans la moindre compassion, il butine un nombre impressionnant de jeunes filles à forte poitrine et  ne préoccupe jamais  de son taux de cholestérol : pendant la durée d’un épisode, le spectateur non plus. Alors, qu’importe si tout ceci manque cruellement de contenu.
 Si la forme est respectée, c’est le fond qui manque le plus. La plus grande partie des  intrigues s’articule autour de la lutte entre les bons et les méchants (un peu comme dans un dessin animé de l’oncle Walt) et l’on peut  aisément, si on en a envie, écrire le déroulement logique de chaque épisode. Avouez que ça tombe bien, j’ai justement envie de l’écrire.
Générique / moderne et enlevé. Tout comme la pub, la musique doit être connue et  sacrément rock (TheWho) ou diablement funky (Aretha Franklin).
Séquence 1 / Présentation du lieu et du meurtre/ musique dramatique de circonstance.
Séquence 2/ Arrivée du flic (ici, ouvrons une parenthèse pour signaler qu’après le flic seul et forcément désespéré, le plus souvent divorcé et alcoolique (les auteurs pensent que la bibine est une composante essentielle du monde polar, avec la veste de cuir râpé comme celle de Christophe Hondelatte) , nous avons aujourd’hui  droit à de nombreuses variantes de couples : flic noir et blanc, flic et chinois, flic et femme, femme et femme, noir et noir, flic handicapé et son fauteuil, chien et albanais, femme et koala etc.. Fermons la parenthèse.) (Rouvrons une autre parenthèse illico pour préciser encore que le flic est toujours incorruptible et honnête, ce qui nous montre bien que nous sommes dans un univers totalement fiction.)  La séquence débute avec une conversation autour d’un gobelet de café.  Ce bavardage est sensé nous faire pénétrer dans la relation toute particulière qui existe  entre tous les membres de la troupe ; un peu comme  dans un cirque entre : le clown triste, l’écuyère, le dompteur, la femme à barbe et  le lanceur de couteaux. Puis le personnage principal raconte une blague et tout le monde rit.
Séquence 3/ Début du processus punitif. Le (ou les) flic arrive sur les lieux du crime. La question rituelle posée aux types déjà sur place est : « alors, machin, qu’est-ce qu’on a ? » Puis, le flic discute avec le médecin légiste (ouvrons une parenthèse (encore !) pour signaler que le personnage du médecin légiste a lui aussi beaucoup évolué. Aujourd’hui, il ressemble plus à Laurent Ruquier qu’au docteur Mabuse.)  Enfin, pour clore la séquence, notre héros découvre tout un tas d’indices que l’équipe de trente personnes, sur les lieux depuis l’aube, n’a pas su dénicher. A côté de lui, le grand Sherlock Holmes fait figure de minus.
Séquence 4 / Le cœur du processus punitif. Le personnage se déplace beaucoup en voiture en faisant bien sentir aux méchants qu’il les méprise et en distribuant des mandales à ceux qui se moquent de sa veste de cuir râpé. La séquence s’achève par une course poursuite dans les rues de la ville qui nous mène dans une vieille usine abandonnée où sur le marché aux poissons. Le méchant est capturé, les habitants peuvent dormir sur leurs deux oreilles.
Séquence 5/ Retour au commissariat. Retour du gobelet de café et scène finale dont le point culminant a un rapport étroit avec la blague de la séquence 2.
Générique de fin (pensez bien à acheter la BO, en vente dans les grands magasins).
Oui, mais, dans les séries où le personnage principal est un tueur ? demandent les spectateurs attentifs. C’est exactement la même chose, leur répond l’auteur de cet article. Voyez-vous, mes jeunes amis, rien n’a vraiment changé dans le monde policier depuis les  155 épisodes de la série des Cinq dernières minutes de Claude Loursais, diffusée à partir de 1958 sur l’unique chaîne en noir et blanc. Série plus que novatrice elle-même, parce qu’interactive.  Le bedonnant commissaire quinquagénaire se permettant toujours, avant la séquence de conclusion, un aparté en direction du public pour demander : « alors, vous avez trouvé le coupable ? » Puis les différents indices se matérialisaient sur l’écran et le coupable  avouait son méfait. Etonnant deus ex-machina, non ?
Même si les séries font quelquefois mine de s’encanailler  en flirtant avec l’univers  des espions ou   en s’invitant dans le lit des  politicards, elles ne restent  que  de simples plaisirs de distraction. Le coupable est un élément isolé qu’il faut absolument maîtriser pour qu’il ne nuise pas à la bonne marche des affaires. Mais jamais, ô grand jamais, le héros ne s’interroge sur la société dans son ensemble ; les inégalités, le racisme ou la corruption  ne sont évoqués que comme un mal inévitable.
Pourtant, on peut trouver des conflits sociaux, de la sueur, de la crasse et une belle rage dans la série This is England 86’,88’ et 90’  directement  inspirée du film du même titre. Et puis, il me faut aussi signaler Prime suspect (Suspect N°1) avec la magnifique et combative  Helen Mirren, diffusée de 1991 à 2006. Série novatrice s’il en est qui annonçait de fort belle manière cette « nouvelle vague » dont nous venons de parler ensemble.
Jusqu’ici, je croyais bien être un des seuls à ne pas beaucoup aimer ces fameuses séries et j’évitais autant que possible les conversations avec mes amis. Et puis, j’ai trouvé ceci dans un magazine consacré au Polar/cinéma. Cet extrait est une partie de l’interview que le directeur de la prestigieuse série Noire a donné au journal. Voilà un homme que j’aimerais bien compter parmi mes amis.
« Les séries, je regarde deux ou trois épisodes et j’éteins la télé en me disant : « tout ça pour ça ! » T’as l’impression que les mecs ont mis tout ce qu’il y avait de mieux au début et qu’ensuite ils pédalent dans la semoule. Donc qu’on arrête de me dire que la série est supérieure car elle prend le temps d’installer ses intrigues. Pour moi, Welles dit plus de trucs dans La Soif du mal, que Pizzolatto avec True Detective. »
(    1)   Interview Aurélien Masson (So Film N° 42)

Fin de la saison une.

Julius Marx
Image : Stephen Graham as Combo in This Is England

dimanche 8 mai 2016

The Prowler




Le cadre est celui d’une fenêtre. Nous nous approchons pour découvrir une blonde à la jolie frimousse qui achève sa toilette. Après un ultime petit clin d’œil à son miroir, la belle tourne la tête. Elle reste subitement tétanisée puis, elle s’enfuit en poussant un cri. Aux deux officiers de police qui frappent à sa porte quelques minutes plus tard, elle explique qu’elle vient d’apercevoir un rôdeur. Elle est manifestement encore sous le choc. Le sourire paternel du plus âgé des deux flics la rassure un peu. Pendant ce temps-là, le second policier fait le tour de la maison comme s’il était de la famille. Il se permet même de déplacer quelques objets et d’attraper un cadre pour admirer en connaisseur un cliché de la belle dame.
Voilà, chers amis, comment Joseph Losey installe avec une redoutable efficacité l’intrigue de son film The Prowler (Le Rôdeur) 1951.
Ce flic singulier va bien évidemment revenir seul un peu plus tard. Nous avons déjà compris les grandes lignes de son projet diabolique. Dans la scène de confrontation qui suit, il est étonnant de voir de quelle façon notre homme se débrouille toujours pour apparaître dans le cadre au- dessus de sa future victime, en position de dominant. Si la belle (seule toute les nuits dans une grande maison froide, pendant que son mari officie dans une radio locale) ne cède pas immédiatement à ses avances, on devine qu’elle finira bien par succomber.  Ensuite, Losey organise le meurtre puis, il abandonne manifestement ses personnages au Diable qui va s’occuper de tout. Il est effarant de voir à quelle vitesse stupéfiante les humains vont se décomposer entre les mains du Malin.
La fin du voyage est une ville fantôme plantée dans un désert aride. L’homme ressemble à un vagabond et la femme, sur le point d’accoucher, ne quitte plus son lit. Ses gémissements se mêlent à ceux du vent.
C’est magnifique, c’est noir, et nous attendons le châtiment.
Rendons grâce aux anonymes qui enregistrent et partagent ce genre de chefs-d’œuvre sur notre bien-aimé Youtoube. Je les embrasse tous, plus particulièrement les blondes à jolie frimousse.

Julius Marx

samedi 19 mars 2016

Cahiers de Cinéma (4)



Le médiocre
La télévision attire irrémédiablement le long-métrage vers le bas, l’insignifiant, le médiocre.
Dans Disparue en hiver un trio de « scénaristes » aligne les différents poncifs du film noir comme les chefs de rayon d’une grande enseigne de supermarché les télévisions avant la grande vente promotionnelle de fin d’année. L’ancien flic Kad Merad vit seul dans une grande maison triste et froide ho, ho, ho séparé de sa femme ha, ha, ha, après la mort accidentelle de leur fille hi, hi, hi… L’homme forcément désespéré hé, hé, hé, recherche une jeune fille disparue hu, hu, hu et finit par mettre au jour un vilain meurtre orchestré par un potentat local aïe, aïe, aïe…
La ville est froide Brrrrr… Et il y a aussi du brouillard et de la pluie, Mince…. A la fin du film, dans un cimetière, l’ancienne femme de l’ancien flic, prend le bras de son mari qui tient un parapluie.
Hiver encore avec 12 Winter qui raconte les aventures palpitantes de trois braqueurs de banque dans les années quatre-vingt en Allemagne. Deux des braqueurs sont jeunes, l’autre vieux. L’un des jeunes persuade le vieux de préparer les hold-up de manière plus professionnelle en faisant du jogging et des pompes dans les bois. Il lui demande également d’arrêter de manger des sandwichs dans sa voiture. L’autre jeune annonce qu’il est séropositif. Les trois tombent d’accord pour affirmer que la vie est injuste.  Pendant ce temps-là, deux jeunes policiers louent un local avec des bureaux, des ordinateurs et de grands tableaux avec des cartes routières épinglées dessus. L’un des deux (qui vit séparé de sa femme parce qu’il préfère visiblement son boulot à la vie de famille) plante des petits drapeaux de couleurs différentes sur les cartes routières. L’autre boit du café. Impossible de vous relater la fin de cette intrigue hors du commun, j’ai préféré visionner un autre épisode de Faites entrer l’accusé avec bien plus de suspense et de rebondissements. Ne manquez surtout pas l’épisode ou le gendre assassine l’ensemble de sa belle-famille, probablement parce que sa belle-maman l’a traité de minus.

Géométrie
Côté vrai cinéma, je vous conseille très vivement de visionner les petites vidéos très instructives de Every Frame is a Painting sur l’indispensable Youtoube. Ne manquez pas celle consacrée à The bad Sleep well-1960 d’Akira Kurosawa où l’auteur nous parle de la géométrie de la scène chez le Maître nippon. Et puis, pendant que vous y êtes, visionnez-les donc toutes, de Memories of Murder de Preminger à Fargo des Coen bros. Instructif, vraiment.

Consternant
Jeune et jolie nous conte l’histoire d’une demoiselle jeune et jolie qui profite de ses moments de loisir pour exercer le joli métier d’escort-girl. Au paroxysme du suspens et de la pression psychologique l’un des clients de la demoiselle demande : « mais pourquoi tu fais ça ? »  La réponse dans un des nombreux volumes reliés de la Comtesse de Ségur.

Amusant
Babysitting est une comédie française amusante. L’intrigue, construite à partir d’une accumulation de catastrophes (en gros comme la très célèbre Party de Black Edwards) ne surprend pas vraiment mais, fait assez important à signaler pour un film français, tient véritablement le coup jusqu’au dénouement final. Pour le reste, je crois qu’il s’agit là d’un premier film, forcément référentiel. Et puis, Peter Sellers est mort.

Phrase
« Le cinéphilisme est une défense contre l’émotion, mais cette défense jouit d’être balayée. » JP. Manchette (Charlie-Hebdo-Octobre 1979)
Je crois que l’on peut se quitter là-dessus.

Julius Marx

vendredi 11 mars 2016

L'art industriel





L’art industriel tel que Hollywood le pratiquait avait ceci de bon aussi qu’on commençait par une universalité, celle du commerce. Quand un jeune homme (disons Jack Ford) débute là-bas, il ne viendrait à personne l’idée que le but de son travail est d’exprimer ses problèmes et sa pensée. Le but de son travail, ce sont des images de chevauchées et de morts violentes qui plaisent à la masse publique. Quand Ford et les autres ont mûri, ils continuent de montrer des chevauchées et des morts violentes, et d’autres choses pittoresques qui plaisent aussi. Leur particularité vient de surcroît. Quand Ford fait un film comme par exemple L’Homme tranquille, il peut ouvrir son cœur au sujet de l’Irlande, du mariage, de la violence, de l’amour et de bien d’autres choses parce qu’il sait parfaitement bien mettre à son film un pivot (la gigantesque bagarre, en l’occurrence), et mettre à chaque scène un pivot. C’est ainsi qu’il peut aussi faire dire une réplique comme : « Si les gens du Sinn Fein étaient de la fête, il ne resterait de cette chaumière qu’un tas de ruines. » Pour quiconque ignore, comme moi la première fois où j’ai vu L’Homme tranquille, tout de l’Irlande et notamment du Sinn Fein, cette réplique et le personnage qui la dit sont incompréhensibles ; mais c’est sans importance, car le film comme totalité et immédiatement et aisément compréhensible, jouissif universellement. Ca, c’est ce que Ford apprit à faire d’abord.
Les cinéastes modernes sont très mal barrés au départ, au contraire, car le marché de maintenant leur propose d’exprimer tout de suite leur particularité, et même exige ça d’eux (la multiplication des salles d’exclusivité minuscules remplaçant les salles de quartiers spacieuses est la même chose concrétisée par le béton). Le marché avait recouvert les gens en gros, à présent il les recouvre en gros et en détail. La télé et Star Wars d’un côté, de l’autre de gros paquets de capital donnés à des gens qui n’ont pas fait vingt films ni même dix, pour qu’ils racontent presque librement ce qu’ils ont sur le cœur.
Remarquez que s’ils arrivent à le raconter vraiment, on les fait disparaître. Mais remarquez que la plupart de ceux qui disparaissent, c’est pour d’autres raisons (tous les papillons ne sont pas Socrate), et c’est bien fait. De toute façon c’est un bien fait. Et un bien fait n’est jamais perdu.
Jean-Patrick Manchette

Charlie Hebdo n°466 (17 octobre 1979)

samedi 5 mars 2016

Cahiers de Cinéma (3)






Nostalgie (encore !)
Pour les plus anciens d’entre nous, l’émission Cinéma/Cinémas diffusée sur Antenne 2 de 1982 à 1991 du trio Boujut-Ventura-Andreu reste une émission culte, comme disent les jeunes d’aujourd’hui. Je me souviens du magnétoscope et des cassettes vidéo de quatre heures pour réaliser un enregistrement parfait n’omettant ni le début, ni la fin, et surtout pas le fameux générique. A l’époque j’espérai travailler pour la postérité, pour que mes deux progénitures, plus tard, soient en mesure de visionner l’interview de Cassavetes à Hollywood en 1965 ou bien les nombreuses de Welles, d’Hitch et tant d’autres. Tentative généreuse d’une filiation cinéphilique qui s’est bien entendu avérée totalement inutile.  Aujourd’hui, il suffit à ces jolies demoiselles de laisser glisser leurs petits doigts agiles sur les touches de leur ordinateur-friend pour visionner l’ensemble de ce qui dort paisiblement dans des cartons, au fond de ma cave, sous le matériel de camping et le service à fondue de la grand-mère. J'étais totalement fan des séquences de Philippe Garnier, le correspondant hollywoodien, de sa voix, de ses sujets. Je me souviens de cette interview surréaliste de John Ford, assis sur son lit en pyjama et mâchant un infâme morceau de cigare à qui l’on demandait :« Monsieur Ford, comment êtes-vous arrivé à Hollywood ? » et le maître de répondre :« By train ! »  Comment oublier les mots de Welles sur le rythme, la musique des films ? Comment oublier le visage sévère du génial chef-opérateur Stanley Cortez, expliquant son travail sur les 36 jours de tournage (oui, 36 !) de Night of the Hunter, et finissant la conversation en disant simplement : « si vous savez ce que vous faites, il n’y a jamais de problème. » Il y a tant de petites phrases que j’ai bien dû noter quelque part… Je sais qu’un jour, c’est certain, je finirai par me débarrasser du matériel de camping et du service à fondue de la grand-mère.

Folie
Twin Town est un film britannique totalement fou réalisé par Kevin Allen en 1997.L’intrigue se situe dans la province toujours sinistrée (même le Prince en est conscient) du Pays de Galles. L’intrigue débute comme une étude sociale, se transforme rapidement en polar violent et réaliste, fait un petit tour vers la comédie de mœurs et s’achève par une séquence surréaliste. Le rythme et les personnages totalement décalés nous font penser aux Coen bros ou à un Tarantino. Bref, un ovni probablement trop moderne à l’époque qu’il vous faut absolument visionner aujourd’hui.

Lapsus ?
En visionnant quelques extraits choisis de la cérémonie des Césars, je relève une blague de la présentatrice de la soirée. La demoiselle ironise sur le travail des acteurs français qui, pour obtenir la précieuse récompense doivent, selon elle, fournir beaucoup moins de travail qu’un Di Caprio, par exemple. Inutile pour eux de dormir dans un cheval mort, de marcher des kilomètres dans la neige ou de lutter au corps à corps avec un animal sauvage. Non, rien de tout cela, il leur suffit simplement de se laisser pousser la moustache et de jouer dans un drame social. Ecrit pour faire rire, son texte relève pourtant de manière fort simple et intelligente la grande différence qui existe aujourd’hui entre le cinéma (spectacle) et le cinéma (réaliste), entre le drame-fiction et la  fameuse recherche du réel.  
Pourquoi ne pas imaginer une émission consacrée au cinéma avec pour titre cinéma (au singulier) et cinémas (au pluriel) ?
L’habileté de ce retour à la case départ me laisse sans voix.
Allez en paix.

Julius Marx

jeudi 3 mars 2016

Nostalgie




-Toujours aussi sentimental?
-Non, seulement avec les chevaux.

(Vera-Cruz. Robert Aldrich 1954)

samedi 20 février 2016

Noir in France




Le prochain numéro de l’excellent noir-magazine L’Indic sera consacré au cinéma. Vous aurez la chance d’y découvrir quelques beaux articles sur le film noir, sur les différentes adaptations de nos romans préférés et des tonnes d’autres informations distillées par mes talentueux confrères. Alors, abonnez-vous ou menacez votre libraire s’il ne vend pas encore ce précieux bréviaire. (1)
Puisque nous avons un petit moment, revoyons ensemble quelques beaux polars, réalistes et violents à l’américaine, tournés dans notre beau pays.
Ecartons volontairement les Fantomas, Rouletabille et autres adaptations de Sherlock Holmes pour nous concentrer sur La nuit du Carrefour de Jean Renoir. Dans ce film de 1932, adaptation du roman de Georges Simenon, la fameuse « atmosphère » du Noir est déjà présente. Dès les premiers plans du film, qui situent l’arène du drame, le fameux carrefour, justement, nous avons l’impression de plonger tête la première dans une nébuleuse inquiétante et morbide. Les personnages, tout aussi troubles que le ciel fuligineux, ont tous l’ombre lourde. Dans le célèbre Quai des brumes de Marcel Carné-1938, adapté par Jacques Prévert d’après le roman de Pierre Mc Orlan, même ciel, même atmosphère. Mais dans cet ilot du bout du monde, ce sont bien les personnages qui nous réjouissent.  Ils ont la puissance passionnelle des personnages de James M. Cain, par exemple. Ce Gabin-déserteur est le frère siamois du vagabond du Facteur sonne toujours deux fois. L’homme n’a ni passé, ni avenir et ne peut qu’avancer sans but réel, dans le brouillard, vers une fin tragique. Il faut noter également que dans cette œuvre, ce sont les « méchants » qui s’en sortent : prouvant une fois de plus que le héros ne peut redresser les torts d’un monde qui s’écroule.
Gabin toujours quelques années plus tard avec le non moins célèbreTouchez pas au grisbi de Jacques Becker (1954) d’après Albert Simonin. L’action se déroule au sein de ce que l’on nommait le milieu, ou la pègre. Destins tragiques d’un trio de truands en fin de carrière, le spectateur de l’époque découvrait « ces anti-héros », mis en scène par un auteur dont le choix évident de privilégier les hommes au « folklore » avait de quoi surprendre.
Hop ! Un grand bond pour parler du magnifique Série Noire d'Alain Corneau (1979) adapté par le facétieux poète Georges Perec d’après A Hell of a woman, de Jim Thompson. Rarement une adaptation aura été aussi réussie et intelligente. Le roman contient tous les ingrédients de l'univers Thompson : le manque d'identité, de réussite sociale, d'amour. C'est un roman sur le destin contrarié d'un homme trop tendre pour s'imposer dans le monde implacable qui l'entoure. A peu près tous les romans de Thompson ont la même ligne dramatique.
Bien loin des faiseurs qui tentent sans succès de singer les productions américaines, Perec transforme l'oeuvre tout en gardant les éléments constitutifs qui font sa noirceur originelle.
Dans un premier temps, il transpose l'action dans une banlieue incertaine peuplée par des exploités et des marginaux. Dans ce décor sinistre sans aucune couleur ni relief, les personnages ne luttent plus, la lutte des classes étant remplacée par l'action individuelle forcément désespérée. Pour exemple, voyons la scène d'introduction du film. Franck, le personnage principal, apparaît au centre d'un terrain vague ou flottent les divers résidus de la société. Autour de cette arène, on peut voir l'autre société (celle qui avance en broyant tout sur son passage) : les grues de construction et l'enseigne du centre commercial voisin. Puis, Perec met en place le personnage du méchant (le patron, et son adjuvant l'inspecteur de police) qui exploite sans scrupules les minorités : immigrés, chômeurs, vagabonds et personnels serviles dont  Franck est l'archétype.
Ensuite, il adapte le langage en donnant au personnage et à ceux qui l'entourent, un parlé stéréotypé, sans aucune âme, composé d'expressions populaires, de locutions et de paroles de chansons populaires elles-aussi. Ces chansons forment l'insupportable bande-son du film. Il faut noter aussi que le patron (exploiteur) ne parle pas comme les exploités. Son langage est soutenu et il emploie même des expressions comme "c'est vraiment coquet chez vous".
Enfin, il ne se substitue pas à la tradition de la femme fatale dont le rôle consiste à sauver le héros mais, vous l'avez deviné, contribue plus à sa chute.
Le travail d'adaptation est brillant. Nous ne sommes pas en Amérique pourtant les points forts du roman noir sont bien présents, bien loin des poncifs rebattus des séries sensées nous faire frissonner.
La seconde bonne pioche du réalisateur c'est bien entendu d'avoir choisi Patrick Dewaere pour incarner le personnage principal.
Cet inventaire forcément sélectif s’arrête ici (j’ai écrit que nous avions un petit moment à passer ensemble, pas une après-midi complète !) Vous pouvez découvrir dans ce blog quelques lignes sur les deux ou trois rescapés de la monstrueuse production de films se voulant noirs.
Et le voilà qui retourne vers le vaste monde pourri, avec sa morale, son idéal.

Julius Marx
(1)   Soyez tout de même indulgent. N’usez pas de la force. La menace verbale devrait suffire. Il ne reste malheureusement plus beaucoup de libraires indépendants et c’est bien triste.

dimanche 7 février 2016

Plus dure sera la chute





Avez-vous remarqué, amis lecteurs, le nombre important de films plaisants, qui, certes, donnent de la distraction, mais ne sèment aucun trouble dans notre esprit ? C’est à peine si nous nous rappelons le nom du personnage principal, quelques heures plus tard, quand vient ce moment délicieux de s’allonger avec un bon roman.
Il me semble que ces films sans contenu ont tous un point commun : ils n’ont pas vraiment de chute. Oui, je sais, vous allez me répondre illico, vous qui lisez ce blog depuis plusieurs années déjà, que la chute est bien souvent le résultat du contenu et je ne peux vous donner entièrement tort, petits futés que vous êtes. Mais, nous devons tout de même prendre en compte ce curieux phénomène de mode dont l’incroyable stupidité consiste à laisser le spectateur achever lui-même l’histoire selon son inspiration. Je sais aussi que certains   esprits retors (j’aime à penser qu’ils sont nombreux à lire ces lignes)  vont me rétorquer en souriant qu’un film sans début et sans milieu ne peux pas, logiquement, avoir de fin ; oui, c’est un fait.
Alors, pourquoi ? Eh bien, je pense simplement que depuis l’abandon pur et simple du scénario, il ne peut pas en être autrement. Les scénaristes blacklistés ont tout bêtement laissé la place à cette fâcheuse politique des auteurs. Inutile de le regretter ni d’évoquer comme tant d’anciens spectateurs (je ne veux choquer aucun de vous, ancien ne veut pas forcément dire vieux, hé ! Ho…) le cinéma d’avant, le vrai cinéma !
J’ai vraiment été très heureux de partager cette petite conversation avec vous. Il est temps maintenant de passer à la partie critique des quelques films que j’ai pu voir ces jours derniers, histoire de se détendre un peu.
Oui, passons très vite sur les amusettes télévisuelles comme Pauline détective dont la seule qualité est de se dérouler presque entièrement en Italie. Oui, c’est vrai, les comédiens sont amusants mais, là-encore, le scénario n’est qu’une idée, rien de plus (1). Passons également sur 10 jours en or même si le travail est un peu plus fignolé et que l’on peut deviner un léger contenu. Sur le thème du pauvre (ici une réfugiée) qui vient bousculer la vie très organisée d’un homme qui a tout, ou presque, et qui, avant cette rencontre n’imaginait même pas vivre dans un monde cruel et profondément injuste, l’auteur ne pose aucune question et c’est bien dommage. Et puis, la fin ne résout rien, bien entendu. Les meilleurs amis du monde est une bonne comédie dont le rythme et les acteurs parviennent à nous faire oublier les nombreux clichés rebattus propres à ce genre de production. Le chanteur Marc Lavoine est épatant dans le rôle du lourdingue de service(2) et Léa Drucker toujours juste et belle, ou inversement.
Alors, que nous reste-t-il ? Les vieux films, bien sûr !  Commençons par le très hollywoodien Pandora (Albert Lewin- 1951). Un film avec une accroche, un développement et une chute, quel archaïsme ! Vous connaissez déjà probablement l’intrigue ; la belle Ava hésite entre l’amour d’un riche héritier pilote de course, un toréro célèbre et le fantôme d’un yachtman hollandais. Elle choisira le fantôme, bien entendu, pour s’assurer l’éternité. Comme je l’ai déjà écrit dans ce blog, ce qu’il y a de bien avec les classiques c’est que les connaissons tous par coeur, ou presque.  Aussi, avons-nous le privilège de laisser vagabonder notre regard pour apprécier, par exemple, le cadre dans lequel évolue Pandora. Nous découvrons tant de fleurs, de livres, de tableaux et autres statues grecques que nous comprenons pourquoi la Dame préférera l’ivresse des océans. Nous comprenons aussi, en voyant évoluer les personnages sans réelle ambition qui l’entourent (je devrai écrire qui l’oppressent) qu’elle n’aura d’unique issue que dans la fuite. Ceci n’est pas une analyse, mais un sentiment. Et puis, Ava Gardner…
Quittons-nous avec du grand spectacle. Si je ne m’abuse, Luci del Varietà (1950) est le premier film de Fellini en tant que réalisateur, même si le Maestro partage au générique la paternité de l’œuvre avec Alberto Lattuada.  Dans cette chronique d’une petite troupe de music-hall, on peut deviner l’influence des Feux de la rampe de Chaplin, par exemple, mais on peut y voir aussi l’ébauche de certains thèmes plus spécifiquement felliniens comme la mélancolie ou le désarroi, en particulier dans la merveilleuse scène d’ouverture (que l’on pourra revoir plus tard à l’identique, ou presque dans Fellini Roma.) Fellini filme les petites gens, le peuple qui s’amuse. Joie, tristesse, dérision, ironie, malheur… Le grand cinéma italien est déjà là.
Oui, vous savez bien, le vieux cinéma.

Julius Marx 

(1)   La fin ? Un plan avec un point d’interrogation !
(2) Nous prouvant du même coup de le métier d'acteur n'est pas si compliqué que ça.