Le hasard fait bien les choses. En revoyant hier le French-Cancan de Jean Renoir et en
découvrant de nouveau cette fameuse vision subjective dont nous parlions dans
le post précédent à propos du film de Polanski, je me suis dit, tentons une
fois de plus une petite analyse. French-Cancan,
vous le savez, est un film sur le spectacle ; le spectacle dans son
ensemble, bref sur la représentation. Sur la scène, nous avons la vie rêvée
tandis que dans les coulisses se joue une autre vie, beaucoup plus précaire et
dramatique. Ce qui semble compter pour Renoir c’est bien évidemment la vie « spectaculaire »
même si ces deux points de vue s’accordent parfois, comme dans Les
enfants du Paradis, par exemple, qui semble entièrement consacré à la
vie et à sa banalité magique. Ici, le narrateur omniscient se promène à la fois
sur les planches, dans les coulisses et chez les personnages lorsque le
spectacle est achevé, car oui, bien sûr, il faut bien que le spectacle s’achève.
Ce qui est frappant c’est cette vision
du village de Montmartre qui héberge la plupart des acteurs et danseuses. Nous
avons bel et bien l’impression qu’il s’agit là encore d’un décor et nous nous attendons à
voir coulisser quelques planches peintes pour passer à la confrontation
suivante. Ce passage de la fiction à la réalité est très souvent marqué par
des effets simples (raccords, liaisons image ou son) mais aussi par des
personnages qui viennent crever des toiles peintes, passant de fait de l’autre
côté du miroir. Pourtant, il arrive que les deux notions fiction-réalité cohabitent
de façon plutôt subtile. Voyez le personnage de Danglard, qui règne sur ce
petit monde du spectacle de main de maître, recevoir avec sa maîtresse, les
huissiers dans sa chambre d’hôtel au petit matin. Si les huissiers ressemblent
à deux corbeaux, le couple est habillé comme dans une scène de vaudeville. La
scène finit par se jouer dans la chambre
et s’achève en apothéose. Pouvons-nous en conclure que pour Renoir la vie est
un spectacle permanent et que le vice est préférable à la vertu. A vous de
juger. J’ajoute simplement que la représentation est très souvent présente dans
les films de ce très grand réalisateur français ; La grande Illusion (Le spectacle donné par les prisonniers) la Règle du Jeu (là encore un
autre spectacle qui vient s’opposer au badinage permanent des différents
protagonistes).
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J’ai aussi
relevé ceci, dans un gros bouquin de la Pléiade. « A mon sens, il y a deux genres de pièces, comme de serpents,
celles qui vont quelque part et celles qui se mordent la queue. Celles que vous
nous jouez, et de plus en plus, semblent se mordre la queue. Mais encore
vraiment il faut, me semble-t-il, après tout, préférer celles qui vont quelque
part. Le monde, bien qu’on en dise, va quelque part. Il a l’air seulement de se mordre la queue. Les
vraiment bonnes pièces vont quelque part. Où ? Vers l’avenir du monde et
c’est leur rôle. Presque tout Shakespeare va quelque part, c’est un feu
d’artifice, une délivrance. C’est ça : une bonne pièce doit être une
délivrance. » Louis Ferdinand
Céline (Lettre à Charles
Dullin-1929)
Remplacez « pièces » par « films » et le tour est
joué. Bon, sur ces bonnes paroles, je vous quitte. De biens belles danseuses m’attendent
en coulisses. Je frémis.
Julius Marx