vendredi 31 mai 2013

La recette du bon thriller



Pour faire un bon thriller à la française, il est très important de travailler à partir d'une histoire vraie, d'un fait-divers lu dans la presse ou déniché sur le net. Pour mettre le maximum de chance de votre côté, vous pouvez également vous procurer le Vu à la télé américaine, qui apportera, à n'en pas douter, une certaine classe à votre recette ainsi qu'une touche exotique.
Ensuite, vient le temps du choix des acteurs. Pour l'actrice principale, veillez bien à engager une femme ordinaire, reconnue pour ses qualités de femme ordinaire. Nous conseillons Catherine Frot, par exemple, car, à l'évidence, elle n'est pas Gene Tierney. Pour les rôles secondaires (ceux du mari, du père, de la mère et de la copine de la femme ordinaire)  vous trouverez certainement votre bonheur dans tous les bons super-marchés.
Il est temps maintenant de passer à la mise en scène.
La règle dans le genre c'est de ne surtout pas laisser le chef opérateur s'exprimer. Rappelez-vous que vous fabriquez un produit standard qui doit plaire à la ménagère, au mari de la ménagère , à son père, sa mère et à sa bonne copine. Alors, pas de plans compliqués trop ou pas assez exposés, ni de gros plans et jamais de profondeur de champ (trop complexe). Le cadre  doit être toujours large. Privilégiez, par exemple, les aller-retour en voiture en ville : la femme ordinaire sort du parking , la femme ordinaire rentre chez elle, la femme ordinaire va chercher son fils à l'école etc..
Attention surtout à ne pas enchaîner les plans trop vite; l'ensemble doit être long... Très long.
Pour la touche finale, nappez le tout d'une épaisse couche musicale (violoncelle, par exemple, qui renforce le contenu dramatique et angoissant.)
Bon, maintenant il est grand temps de passer à la dernière étape de la recette : la promotion et la  vente.
Pour la promotion, assurez-vous le concours de critiques qui ne manquerons pas de comparer votre produit à un film d'Hitchcock (faites l'étonné et assurez que vous n'êtes qu'un petit artisan à côté du maître du suspens.)
Enfin, avant la diffusion à la télévision , engagez un présentateur zélé (tête de gondole) qui doit être capable d' expliquer la définition de l'adjectif thriller.
Servez. Dégustez.
Note : ne présentez jamais votre film à un vieux type très ronchon comme Julius. Il serait capable de le comparer à Péché Mortel de John Stahl ou les Diaboliques de HG Clouzot. Des films où les personnages ne sont pas ordinaires, un comble !
Julius Marx

vendredi 10 mai 2013

Franche rigolade


Vous connaissez tous, bien sûr,  L'éléphant qui se trompe de Paradis, ou l'inverse, je ne sais plus, ce film et sa suite, du talentueux Yves Robert (oui, je sais, tout ceci n'a pas vraiment l'air d'une syntaxe irréprochable, mais c'est l'éléphant qui me trouble.)
Si le scénariste Dabadie et son réalisateur choisissent la franche rigolade pour donner la possibilité à une bande de copains de zinc, d'échanger leurs impressions sur le fameux malaise des quadragénaires, il faut souligner que le même Dabadie, toujours lui, remettra le couvert avec Claude Sautet, mais cette fois dans le registre dramatique, et toujours entre copains de zinc. Les uns sont torturés et le montre, les autres préfèrent, jouer,s'esclaffer.
Evidemment, dans ces  belles années 80 profondément giscardiennes, celles de Danièle Gilbert, du Schmilblick et des épiciers Félix Potin,  le bon docteur viennois Sigmund  a  déjà installé nombre de succursales de son petit commerce  (tout comme Félix, voyez-vous, mais pas dans les mêmes quartiers, certes.)
Alors, chez les rigolos, le matériel est celui du théâtre dit "de boulevard". Le mari est trompé, ou se croit trompé, les quiproquos dégringolent, les placards s'ouvrent, se ferment, les dialogues claquent. Il faut noter au passage que ces dialogues sont beaucoup plus riches et travaillés que ceux d'un Audiard, par exemple, trop souvent loué et qui ne faisait "que" des bons mots. Je suis sûr que vous n'avez pas oublié le bon docteur de Vienne; les scénaristes non plus et c'est heureux. Le vaudeville s'enrichit d'un soupçon d'amour libre, d'un homosexuel qui se marie (déjà!) et d'un personnage féminin qui décide elle-même de congédier son amant d'un soir comme un mal-propre, un comble!
Et pendant ce temps-là, dans les ruelles du quartier Latin, les sérieux ont les mêmes problèmes, ah?, bah oui, forcément! Les femmes voluptueuses et philosophes s'en vont, puis reviennent et repartent.
Le social devient critique sociale. Les hommes souffrent, coupent du bois, et se demandent ce qu'ils ont bien pu faire de leurs jeunes années.
Dans les deux cas, on finit par se rassembler autour d'une bonne table (en ce temps-là, c'était encore possible.)
 Quand Yves Robert choisit de filmer le groupe avec le recul qui s'impose, en plaçant sa caméra, détachée de l'action, en position d'observateur privilégié, Sautet opte pour le rapprochement, pour mieux filmer l'inévitable l'affrontement.
Mais non, j'suis pas nostalgique, je fais juste un peu d'anthropologie.
Au secours ! Il est devenu fou.
Julius Marx


lundi 6 mai 2013

Poilade


Dans Night and Day , le réalisateur James Mangold s'amuse à empiler les clichés du film d'action comme un château de cartes. Cet homme dirige en véritable despote une belle entreprise de démolition avec, dans le rôle des cadres, Mr Cruise et Me Diaz. Le résultat est amusant, surprenant même. L'ensemble des salariés de la boite se montre à la hauteur de sa tâche et nous ne pouvons qu'applaudir (c'est si rare) en découvrant, par exemple, cette très belle poursuite entre voiture, moto et taureaux lâchés dans les ruelles d'une improbable ville espagnole.
Ce film dépasse de très loin les multiples expériences parodiques du genre déjà tournées et nous n'avons pas peur d'affirmer que cette camelote est de tout premier choix.
La raison de ce succès? Dans un premier temps, c'est bien entendu du côté de l'acteur principal qu'il faut la chercher. Cruise se situe à la fois dans son emploi et dans son contre-emploi (idem pour Diaz la blonde à grosse bouche). Le tandem passe son temps à détruire plus qu'à construire. De "sérieux", il ne subsiste tout au plus que des accroches de scènes  entièrement piquées dans les pages du catalogue action des grandes maisons de vente et diffusion par correspondance. Et pour le reste? demandez-vous, incrédules, en fronçant les sourcils . Hé bien, mes amis, sachez que tout n'est qu'énorme poilade. Par exemple cette intrigue construite (si on peut dire) à partir d'un Mac Guffin de référence. Ici, les bons et les méchants ne se battent pas pour une statuette ou un énorme diamant, mais pour un petit (un tout petit même) prototype de pile révolutionnaire mis au point par un ado boutonneux et  qui s'autodétruira de lui-même dans la désopilante scène du duel final!
La cerise sur le cheese-cake, c'est aussi les nombreuses références cinéphiliques que les auteurs s'amusent à glisser çà et là. Ainsi , le message laissé sur la vitre d'un compartiment qui ré-apparaît miraculeusement, parodiant le fameux The Lady vanishes de Sir Alfred, grand maître incontesté de la poilade.
Ironie destructrice donc dans cette parodie, qui n'est pas sans rappeler le magnifique et subversif 1941 de Spielberg.
Si vous préférez que le spectacle se prenne au sérieux, surtout,  ne lisez pas ces pages.
Sans rancune.
Julius Marx 

jeudi 2 mai 2013

La tête de l'emploi



Dans le cinéma français d'avant ( celui des scénaristes et du noir et blanc, bref, celui des années précédant la pénible révolte bourgeoise des années soixante) lorsque le réalisateur d'un film de cape et d'épée criait à ses assistants : "je veux un nain, là-bas, dans le coin gauche, près de la colonne et des trois ménestrels" les assistants envoyaient d'autres assistants, fissa, au domicile de Piéral , histoire de proposer au comédien un cachet ou deux. Si encore un autre exigeait que l'on remplace sur le champ le type qui jouait le rôle  du fourbe par un autre plus chevronné, c'est à la porte de l'ignoble Guy Delorme qu'ils allaient frapper. Et enfin, si un dernier demandait :" quel est l'imbécile qui a engagé cet aubergiste?", un stagiaire téléphonait à Robert Dalban ou Marcel Pérès en leur demandant de se pointer en quatrième vitesse au studio.
Ces hommes là avaient ce qu'on appelle "la tête de l'emploi" ou" une gueule" et les spectateurs devinaient tous à la seconde précise où ils apparaissaient sur l'écran le rôle et la fonction de ces personnages. Facilité. Dites-vous?  Eh bien oui, précisément. Mais, demandez-vous plutôt ce qui était important pour le réalisateur :  tenter de revaloriser la fonction d' aubergiste ou faire progresser son intrigue ?
Aujourd'hui, dans notre monde marchand où l'intrigue n'est plus qu'une petite flamme,  une flammèche qui dure à peine le temps d'une bande annonce, il semble qu'une grande partie des produits filmés ne se construise plus qu'avec  un ou deux personnages outrageusement caricaturés et pas grand chose d'autre.
Ainsi, lorsqu'il nous prend l'envie d'aller faire un petit tour De l'autre côté du périf  nous ne voyons s'agiter que deux prototypes de flics grotesques (l' un est de la banlieue, l'autre d'un beau quartier),  dans une histoire qui se décompose au fur et à mesure de la progression de leur enquête.
On devine pourtant qu'Omar Sy pourrait jouer autre chose et d'une autre façon et que son partenaire serait fort capable de lui donner la réplique.
Bref, après Omar pousse un fauteuil roulant, voici maintenant Omar devient flic.
Mais, tout ceci est évidemment de notre faute. Aller faire un tour en banlieue, je vous demande un peu !
Je propose  au réalisateur de ce produit sans aucun goût ni sel ajouté une reconversion, par exemple, dans le métier d'aubergiste.
Allez, on ferme.
Jullius Marx
Photo : Marcel Pérès et Louis Jouvet dans La charrette fantôme de Julien Duvivier. Remake d'un film de V.Sjöström dont on parlera un de ces jours. Mais, pour ça, il  ne faudrait pas que je passe mon temps à critiquer des films insignifiants. Quelle misère!