mardi 30 décembre 2014

Corpulence et morbidesse



Période des fêtes, temps des cadeaux.
Ce qui suit, est pour vous ;  cinéphiles.
Que l’année qui s’annonce nous apporte émotion et bonheur, ou bien seulement l’impression.
Et surtout, prions pour ne pas devenir aveugles.
Julius
Oui, c’est bien Henri Butron qui s’exprime dans ces lignes. Haineux, terriblement haineux.




« Au bout d’un moment, entre l’Amiral.
Je n’ai jamais pu l’appeler autrement, ce doit être l’ambiance des bateaux dans les litrons, en plus il porte une sorte de costume croisé à boutons dorés, j’ai l’impression qu’il est amiral voilà tout.
C’est un Nègre énorme, la corpulence et la morbidesse de Welles dans «  Touch of Devil », une grosse belle tête cylindrique à cheveux crépus blancs et barbe idem, de gros yeux, à la Welles jeune dans « Macbeth » cette fois. Montagne de chair. Très haute. Bien plus grand que moi qui suis pas petit. On vit en contre-plongée perpétuelle avec ce gustave.
Je n’ai jamais su l’histoire de l’Amiral. A vue de nez, il approchait la cinquantaine, encore qu’avec les Nègres, c’est difficile à chiffrer. Donc il avait dû avoir une vie, qui était encore derrière lui à présent. Je le voyais pas militant, il avait trop l’air amiral. En même temps, pas chefferie traditionnelle, il semblait tellement occidentalisé. Ce qu’il évoquait le plus, négritude mise à part, c’était un révolutionnaire sud-américain revu et corrigé par Hollywood avant que les Amerloques fassent des complexes au sujet de Cuba. Ceux qui ont vu « Bandido » de Richard Fleisher me comprendront, il avait, l’Amiral, un style à la Gilbert Roland, multiplié par plusieurs quintaux de viande, et noir, et quinquagénaire, avec un zeste d’El Supremo dans « Capitaine Sans peur » de Walsh. Bon, ça évoque pas grand-chose qu’un sacré bordel. J’ai dû mal m’expliquer.
En tous les cas, bref, j’ai jamais cherché à savoir sa vie. Faut laisser sa part au rêve, pas vrai ? quand ça risque pas de vous coûter de l’argent.
L’Amiral s’avance vers moi. Sa démarche évoque le vacillement des temples en proie aux premières trémulations séismiques, dans quelque début de cataclysme antique. Ses gros yeux roulent et me jaugent. Les deux faux tueurs l’encadrent, prêts à le soutenir et à l’approuver, me regardant fixement d’une façon vitreuse.
-Anicet Goyésmith n’est point là, dit-il.
-Je reviendrai, dis-je.
Mais je ne bouge pas.
-C’était à quel sujet ? demande l’Amiral. »
Jean-Patrick Manchette
L’affaire N’Gustro

(Série Noire)

mardi 16 décembre 2014

La cité des femmes


Il semble bien que la série Un village français soit un succès, tant mieux. Pour les amateurs (ou bien ceux qui ont un peu de temps, mais les amateurs se doivent d’avoir toujours un peu de temps en réserve) il serait judicieux d’aller un peu fouiner dans les archives télévisuelles afin d’y dénicher une série avec des acteurs  aussi justes et sobres, un filmage aussi soigné et une écriture si  maîtrisée, oui, judicieux, sûrement.
Côté technique, ce qui frappe, c’est le grand soin accordé aux détails. Cet ensemble de « petits riens » qui révèle un tout, une diégèse. Ainsi, par exemple, voyez comme les membres du groupe des résistants qui passent la majeure partie de leur existence dans les forêts, sont vêtus. Ils portent bien le costume adéquat mais, ils ne sont pas impeccables, comme le sont trop souvent les personnages d’opérette dans d’autres séries. Et, il en va de même pour les coiffures, ceux de l’autre camp (qui ont forcément le temps de se raser et de se peigner avec la mèche sur le côté comme l’oncle Adolphe)  sont en totale opposition avec ceux qu’ils combattent. Si vous pensez que ces deux exemples parmi tant d’autres ne sont que des détails, vous voyez juste. Le cinéma Est détail.
Si l’on a le temps nécessaire pour s’intéresser également à l’intrigue et au contenu (le spectateur avisé doit toujours garder un peu de temps pour s’intéresser à l’intrigue et au contenu sous peine de finir par s’abonner à une revue spécialisée)  nous  constatons que  les deux sont vraiment passionnants à analyser. L’intrigue, tout d’abord, est divisée en un nombre étonnant de plusieurs histoires que nous suivons de manière parallèle ( grâce, entre autre, à un montage élégant). De personnage principal il n’y a point et nous ne le regrettons jamais, car ces destins croisés parviennent facilement à nous le faire oublier.
L’autre aspect novateur de la série c’est bien d’avoir confié les clefs de la maison à des femmes. Elles sont toutes fortes et puissantes (dans le sens scénaristique du terme)  symbolisant même à elles-seules les différentes opinions si contrastées de cette époque mouvementée. Alors que la plupart des personnages se demandent encore ce qui leur arrive « et reçoivent seulement des coups sur la tête, comme d’une main invisible » (Hegel) elles agissent pour un amour, un idéal, ou peut-être bien les deux.  De là à prétendre qu’elles sont, dans leurs différences,  la France, il n’y a qu’un pas. Affirmons encore que nul n’est plus qualifié que les femmes de ce monde-ci pour connaître mieux que d’autres le point de vue des victimes.
 Je suis enchanté. J’espère que vous l’êtes aussi.

Julius Marx

jeudi 27 novembre 2014

Tas de feignants !




C’est amusant de voir comment  la grande majorité des auteurs-réalisateurs  contemporains en voulant jouer la modernité  se cassent les dents sur les mêmes écueils, se rongent les ongles sur des problèmes apparus dès la naissance du cinéma et  finissent tous par perdre la tête pour ne  pondre, finalement, qu’un téléfilm aux structures éculées.
La nouvelle tendance (gardez tout de même en tête, amis lecteurs, que ce qui est nouveau pour moi, ne l’est peut-être pas pour vous, nantis occidentaux) semble bien être la présentation du personnage principal par lui-même. C’est à l’évidence avec cette autre mode du biopic qu’est apparue cette fâcheuse manie. Grâce à une voix off, voici notre héros qui raconte tout ou presque sur son auguste personne. Son enfance dans un quartier « mal choisi pour mourir et encore moins pour vivre » (celle-ci, je l’ai piqué à Prudon. Si vous n’avez pas encore lu Hervé Prudon, lisez, lisez…)  de sa scarlatine à huit ans aux dérives lubriques de sa fougueuse première petite copine. Tout ceci, bien entendu, dans un souci  d’efficacité que seuls les aigris, les grincheux, les rabat-joie ou les sourds s’obstinent encore à contester, même si le réalisateur prévoyant a, bien entendu, pensé à illustrer l’ensemble avec de bien belles images comme on en voit dans les sujets du journal télévisé. Mais pour son malheur, et le nôtre, ce procédé ne peut remplacer le travail d’écriture d’une vraie exposition. Vous l’avez compris, cette prise de contact avec le personnage et son univers est primordiale. Sans la présentation, le spectateur ne participe pas à la quête du personnage et  il n’est plus qu’un type seul, assis sur le banc d’une gare de banlieue, regardant défiler les contingents de voyageurs las, abrutis par leur journée de labeur, en mastiquant son sandwich sncf.
Mais, je ne m’étonne guère du travail bâclé de ces auteurs. Ils ne sont que les  tristes rejetons d’un monde où l’émotion est bannie au profit du langage de la communication et de la publicité. Il faut être productif, rendre sa copie avant les autres, c’est ça la concurrence, mon bon monsieur, la mondialisation : vous avez  bien dû en  entendre parler, non ?
Ainsi, dans le Mr Nice de Bernard Rose (2011) le personnage se présente puis, nous abandonne à notre triste sort. Le film raconte l’incroyable histoire de Howard Marks un dealer des années soixante-dix. La vie de cet homme a probablement été incroyable, je l’admets volontiers, mais, le film lui, ne l’est pas du tout. C’est ainsi, quand  le cinéma s’empare d’un livre aux multiples rebondissements, il doit à tout prix faire des ellipses, couper sans remords dans le texte. Un exemple ? Bien volontiers.  Dans son bouquin, le vrai Marks avoue avoir endossé pas loin de 43 identités pour exercer son art. Dans le film nous n’en comptons que trois. Le cinéma se doit d’être plus grand que la vie, alors, pourquoi vouloir absolument adapter ce type de récit ? Simplement par paresse ? Peut-être bien, mais aussi par manque cruel de talent. Un vrai scénariste va tenter de dénicher un contenu et une personnalité pour adapter le texte en fonction et non pas  se contenter de cette  succession de séquences, si laborieuse et conventionnelle que nous avons hâte de voir les bouledogues de la police parvenir enfin à coincer l’hurluberlu.  Au passage, notre tendance à l’anarchie en prend un sacré coup dans le buffet et nous sommes très énervés.
Dans le Crimen Ferpecto Le Crime Farpait (Alex de la Iglesia-2005) (vous voyez bien que mon actualité n’est pas la vôtre) le personnage principal se présente également. Dans toute la séquence, il s’adresse directement aux spectateurs en allant  même jusqu’à livrer sa quête. Le réalisateur fripon qui a  probablement imaginé ce stratagème en visionnant un épisode d’une émission de télé-réalité (dont il se moque quelques séquences plus loin) pense certainement que ce petit tour de magie vient de lui faire gagner un temps précieux. Il a tort, bien entendu. Le reste du film hésite entre une comédie burlesque, un thriller et une critique sociale. Ce que va faire et devenir son personnage, nous nous en moquons comme de ce foutu Colonel Moutarde qui se fait trucider dans la bibliothèque.
Mais oui, chérie, je me calme. 
Tiens, sers moi donc un Campari avec des glaçons. S'il te plaît.

Julius Marx

jeudi 13 novembre 2014

Saltimbanque



-Je voudrais te poser une question, dit Teymour. Tu ne regrettes jamais ton métier d’acteur ?
-Pas du tout, répondit Imtaz. Au contraire. Je me félicite chaque jour d’avoir tout abandonné. Faire un métier, n’importe lequel, est un esclavage. Et la gloire ? En vérité, je n’avais aucune ambition. Il faut une âme basse pour souhaiter la célébrité dans un monde aussi débile. Exhiber son talent ou paraître glorieux ? Devant qui ? Tu peux me le dire ?

Albert Cossery
Un complot de saltimbanques
(Joëlle Losfeld)

mardi 11 novembre 2014

Pompeux


Le film La ligne rouge de Terrence Malick pose une ribambelle de questions comme : pourquoi la guerre, pourquoi les hommes ont-ils cet instinct de mort, d’où peut bien venir ce besoin de s’entretuer alors que notre monde est si pur, si beau ? Le problème de ce film et de ses questions c’est que nous connaissons  déjà à peu près toutes les réponses. De fait, ce questionnement apparaît vain et d’une naïveté rarement égalée.
Pour questionner, Monsieur Malik  choisit le pompeux. Ralentis, raccords incertains, musique d’ascenseur omniprésente, gros plans sur la faune et la flore et : voix off en veux- tu… en voilà !  Alors, pour ne pas sombrer dans un sommeil réparateur, nous nous concentrons sur les scènes d’action proprement filmées, les différents plans rapprochés des soldats envoyés sur le front et les paysages magnifiques. Ici, la nature semble constamment en action, les lieux en mouvement perpétuel.
Le  véritable problème d’un film de genre comme celui-ci reste : le choix. Un auteur doit se demander comment aborder le sujet. Parlerons-nous des hommes, des causes, du  seul conflit etc…
Dans l’indispensable Deer Hunter de Cimino, par exemple, l’auteur choisit de s’intéresser aux hommes. Ces hommes, tous ouvriers dans une ville sidérurgique si laide  et malfaisante que l’on en arrive parfois à se demander s’ils n’ont pas échappés  au pire en partant pour la guerre, sont divisés. Leurs divisions vont évidemment s’accentuer avec la lourde épreuve qu’ils vont devoir subir avec le faible espoir de rester en vie. La question est : pourquoi acceptent-ils leur sort ? 
On peut avancer sans grand risque de se tromper que grâce à ce conflit le processus va s’accélérer et qu’ils vont plonger un peu plus rapidement dans le gouffre qui s’ouvre devant eux.
Alors, vivre une vie de labeur où, dans  le meilleur des cas, ils ne vont pas mourir à quarante ans d’alcoolisme ou des différentes maladies liées à leur boulot sordide, ou bien périr dans une jungle hostile pour un cartel de financiers qui font passer la destruction de la valeur pour du développement ? La célèbre scène de la roulette russe dans un tripot de Saïgon  ne résume-t-elle pas parfaitement leur situation ? 
Ces hommes se retrouvent bien à la place du grand cerf qu’ils vont chasser en groupe avant leur départ. Ils sont tous dans le viseur du chasseur.
Résumons-nous. Nous conseillons donc à Monsieur Malick d’arrêter le cinéma et de se diriger vers la photo. Puis, de se lancer dans la lecture du Voyage au bout de la nuit. Peut-être, après sa lecture, sera-t-il autorisé à pisser avec nous, dans la Seine.

Julius Marx

jeudi 23 octobre 2014

Joël, que ma joie demeure !



Un ancien danseur nu au Casino de Paris reconverti dans la limonade qui s'est fait radoter le nez en Italie, ourler les oreilles au Japon et arracher les molaires au Sri Lanka, un marchand de couleurs de Saumur, une héritière écossaise, un rebouteux qui produit un Calvados "qui a fait roter Pompidou", des paysans  arriérés qui parfument leur soupe aux yeux de cochon, trois malfrats totalement débiles et incapables, un ancien des colonies d'Afrique qui multiplie les lingots d'or, un paquet de danseuses topless, de femmes hystériques toutes croqueuses d'hommes !
Voila une partie des personnages du film "Les deux crocodiles" de Joël Séria. Après un tel inventaire,est-il besoin de vous conseiller de visionner au plus vite cet autre perle du réalisateur français qui date de 1987? Si vous êtes passés à côté, comme pas mal de spectateurs il semble bien, c'est le moment ou jamais de vous racheter.
Le personnage, c'est la marque de fabrique de Séria, il en surgit un à chaque coin de rue, à chaque scène, juste au moment où le spectateur soucieux de ne pas tourner de l'oeil devant son écran d'ordinateur est occupé à reprendre sa respiration. On a l'impression qu'il peut en dégringoler comme çà pendant des heures, des personnages, c'est dire!
Joël Séria n'aime pas les dialogues tièdes; ça tombe bien, nous non plus. Ces dialogues là, messieurs-dames, ne sont pas des "bons mots" mais de la vraie poésie, du rap provincial, du grand cru classé, des  morceaux de premier choix, de ceux que l'on met volontairement de côté pour le client philanthrope et connaisseur.
Et puis, comme dans pas mal d'autres films du prolifique Joël, nous finissons par aller voir la mer, nous promener sur une plage, goûter un moment de repos amplement mérité.
Allongés sur le sable fin, on jurerait entendre la voix de Joël Séria  qui murmure quelque chose comme : " Hé! Vous êtes prêts les gars, on va repartir, la pause est terminée."
J'envie avec vous les quelques égarés, ou les très jeunes spectateurs pour qui cet auteur reste à découvrir
Julius Marx

jeudi 18 septembre 2014

Histoire de pourcentage


Abidjan. Tiers monde. Dans cette ville, les trois-quarts des habitants vivent dans la rue et ne peuvent s’abriter que sous des baraques croulantes. Mais, Dieu merci, il y a la Sainte parabole. Grâce à elle et aux feuilletons diffusés sans interruption sur le petit écran, le peuple peut garder le contact avec les grands de ce monde ; ceux qui vivent dans de somptueuses demeures hollywoodiennes  avec des salons aux dimensions de terrain de foot, des cuisines équipées par la Nasa et des salles de bains de nababs aux allures de thermes romains. Pourtant, avec un peu de persévérance et beaucoup de doigté, on peut vaincre l’agresseur sitcom et finir par échouer sur une chaîne spécialisée dans le cinéma d’action ou le polar.
Alors, pendant que la pluie entrera dans sa chambre malgré la fenêtre close, on pourra s’extasier une fois encore sur le travail de l’opérateur  Arthur Edeson pour Mutiny on the Bounty de Lewis Milestone  et on versera une larme pendant que Monsieur Christian agonisera sur la plage. Entre deux coupures d'électricité, on retrouvera  La proie des vautours de john Sturges où l'on  s’étonnera de découvrir Frank Sinatra (avec un petit bouc sur le menton et un drôle de chapeau australien sur la tête)  découper du japonais dans la jungle birmane pendant que Charles Bronson colle un bourre-pif à un jeune blanc-bec qui a osé le traiter de peau-rouge.  En visionnant cette scène de Patrouilleur 109 de Leslie H.Martinson, on restera pour le moins perplexe en entendant la réplique d’un marin yankee  philosophe  fixer l’horizon  et lancer en direction de son pote à côté de lui: « que d’eau ! hein ? »
En finissant d'éponger l'eau, justement, sur le sol, on insultera la canaille de réalisateur qui  a dirigé  le grand Eddie Constantine dans Nick Carter et le trèfle rouge, l’obligeant à mouiller son trench-coat  sur une plage  du plat pays. On respectera Michael Caine (en élégant costard trois-pièces, est-il besoin de le préciser ?) pendant qu’il distribuera pruneaux, marrons et autres friandises sans jamais perdre son flegme dans le film La loi du milieu de Mike Hodges.
Enfin, on fera ses prières pour que la parabole ne s'envole pas pendant l'orage qui s'annonce. Gloire à toi Sainte parabole et à tes chaînes câblées, même si elles s’obstinent à diffuser les films en version française. Dernière minute : ma fille cadette  vient de m’informer qu’il existe probablement  un bouton sur ma télécommande pour visionner les programmes en version originale. Mais, nous sommes séparés de plus de 5000 kms. Bon sang ! Que la vie est devenue triste, subitement.
Julius Marx

mercredi 4 juin 2014

Les grands espaces



Je suis un type très simple né dans une famille modeste. Chez nous, pas d'ancêtre cap-hornier ni de cousine qui s'est marié un dimanche à Bamako(1). Adolescent, j'étais tout de même assez fier d'avoir un grand-père démineur sur les plages de Normandie, quelques années seulement après avoir été gazé par les troupes du Kaiser en 14, et un oncle qui ressemblait à Frank Sinatra. Tout ceci est largement suffisant, il me semble pour affirmer ici que j'admire profondément le cinéma classique des grands espaces au détriment des pénibles représentations réalistes.
Parlons donc sans dévoiler l'intrigue, sans employer de poncifs ni de formule simpliste et insultante comme "le roi du mélo-populoDes Neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian.
A une époque où les  produits sans contenu s'empilent sur les têtes de gondole, cet homme nous propose un cinéma mélodramatique, inventif et diablement positif. Maître du jeu, aux hommes et femmes de sa troupe , il distribue (à chaque nouveau film) les rôles de Roi, Reine, cavalier, tour ou simple pion. C'est à dire que la matière première de cet auteur  reste le personnage. Des personnages qui s'affrontent dans des scènes où le réalisateur leur laisse largement le temps de s'engueuler, de s'aimer ou de rire. Ici, voyez-vous, on ne coupe jamais dans l'émotion ( même si le montage, particulièrement dans ce film-ci, est nerveux) et il m'arrive bien souvent de verser une petite larme.
Il me faut signaler également l'effort tout particulier de l'image ( les extérieur-nuit sont dignes d'un bon  film noir).
Bref, avec Robert Guédiguian nous devenons tous élégants et c'est foutrement jouissif.
Puisque nous parlons cinéma et que nous venons d'évoquer le positif, ajoutons quelques mots du négatif ( cette boutade n'ajoute absolument rien au contenu de cet article d'une haute tenue, mais elle suffit à me faire glousser de plaisir.)
Pour son film Michael Kohlhaas le cinéaste Arnaud des Pallières adapte le roman éponyme d'Heinrich Von Kleist.  Il choisit de transposer l'histoire en France, dans les Cévennes,  au 16 ème siècle et de délaisser (nous informe les spécialistes) le côté mystique de l'oeuvre.
Au fil des scènes, nous cherchons avec obstination le mélodrame sans jamais mettre la main dessus, c'est triste. Nous éprouvons beaucoup de mal également à dénicher les personnages qui se planquent dans les coins sombres ( pendant  les scènes de combat, on se demande souvent qui vient d'être égorgé ou embroché) avant d'être subitement aveuglés par ce foutu rayon de soleil dans l'objectif.
Oui, mais les grands espaces, me direz-vous. Justement Zamis lecteurs, j'ai trop souvent la désagréable impression d'être enfermé dehors, comme dit l'autre. Un autre spécialiste du journal Le Monde remarque "la puissance de la scène initiale, dans laquelle des cavaliers chevauchant sur une lande pierreuse" en se disant que le réalisateur" va nous entraîner sur la voie étroite (?) d'un western cévenol, quelque part entre Anthony Mann et John Ford." Mon Dieu !
Le vent se lève. J'ai la tête qui tourne.
Coupez!
Julius Marx


(1) En réalité, toute la famille résidait au Burkina-faso.

mardi 13 mai 2014

Poète, vos papiers!



Tati est l'archétype de l'artiste. C'est un poète et un créateur qui n'a  cessé de jouer avec le public sans jamais se foutre de lui.
Son Playtime  est un avertissement, un plaidoyer pour un monde qui s'éteint lentement et qui sera remplacé par l'autre monde, celui des néo-libéraux. Un monde lisse et sans révolte où le poète sera traité comme un paria. Tati  dit simplement à ses spectateurs : surtout ne perdez pas votre âme et votre particularité pour entrer dans cette société robotisée. Comme Keaton et Chaplin avant lui, il se sert de la réalité, mais pour mieux la magnifier. Il ne confond pas progrès et développement, marchandises et création. Tati ne cherche pas le réel, il l'évite soigneusement.
Côté réalisation, il invente un mode de récit où la caméra est toujours placée en retrait de l'action comme pour permettre à ses spectateurs d'avoir une vision globale de l'ensemble. Grâce à cette place donnée, le spectateur ne se prive pas de  regarder tout ce qui bouge dans l’écran.  De haut en bas et de droite à gauche. Allez hop !  Ca gesticule dans le cadre !
Tati fait du cinéma-muet / sonore. Il  met au point une vraie bande son qui devient un élément indissociable  du contenu. Chez lui, pas de nappes musicales épaisses comme de la crème à tartiner, mais une musique parfaitement adaptée aux scènes, un son (même s’il est le plus souvent fictif) qui colle à son objet etc.. Un dialogue d’une mélodie rare, composé de borborygmes et  de bruitages vient enfin couronner le travail.
 Croyez-le si vous voulez mais, j'ai vu ce film une bonne quarantaine de fois et pourtant, il m'arrive de découvrir encore un de ces "détails" magnifiques qui me font sourire.
Avec Playtime, Jacques Tati a réinventé le cinéma, juste pour deux heures, deux heures seulement.
Nous rions donc des imbéciles qui le traitèrent de rétrograde.

Julius Marx

samedi 10 mai 2014

La peur de l'étranger

Article paru dans l'indispensable revue l'Indic 


Ciné-club : La peur de l’Etranger
 The Stranger  (Le Criminel) est un film  américain d’Orson Welles  sorti en 1946.  Dans ce film, rien ou presque n’est de Welles ; c’est du moins ce qu’il écrivait : «il n’y a rien de moi dans ce film. Je l’ai tourné pour montrer que je pouvais être un aussi bon réalisateur que n’importe qui d’autre. » (1)
Le  projet a été initié par le producteur Sam Spiegel  et le script écrit par Victor Trivas et John Huston. On peut même parier que comme la plupart des films du maître son montage final a été trituré par d’autres petites mains à la solde du producteur.  Mais, vous savez déjà que la lutte constante de Welles contre les différents producteurs  en le transformant  en paria  l’a aussi, du même coup,  élevé au rang de génie. Dans le film dont nous parlions (avant que je ne balance cette hypothèse en sachant  pertinemment que je n’aurais pas le temps de la développer)  cet étranger se nomme Franz Kindler et il est incarné par Welles lui-même. Présenté comme le concepteur de l'idée de génocide, il a trouvé refuge à Harper, une petite ville du Connecticut, où il est devenu enseignant sous le nom de Charles Rankin. C'est là que finit par le retrouver  Wilson (Edward G. Robinson), un enquêteur rondouillard et futé de la Commission sur les crimes de guerre.  Ceci étant précisé, mais pourquoi donc, alors, nous intéresser à ce film? Eh bien, pour la réalisation précisément .Nous allons tenter de comprendre comment un auteur (et pas n’importe lequel, admettez..) peut réussir  avec un sujet  extérieur  à priori à son univers, à  laisser son empreinte  sur un film et à le rendre magique. La réalisation (terme générique regroupant les différentes fonctions du réalisateur) c’est aussi et surtout  le talent d’un auteur pour s’approprier le sujet et  lui donner un sens (son sens). Ensuite, c’est la faculté de faire travailler ensemble acteurs et techniciens  au service de cet objectif qui doit devenir  commun.  Dans le cas présent, Welles s’intéresse  plus particulièrement au personnage de Rankin/Kindler. L’homme a toujours été fasciné par les personnages à l’égo démesuré ( Arkadin et Kane, bien sûr, mais aussi  Hank Quinlan, le flic pourri de Touch of Evil.) Il est évident que ces « monstres » ont une force dramatique bien supérieure à la normale et offrent de formidables promesses de récit.  Ils deviennent du même coup  à l’image  de Welles, lui-même un personnage d’une imagination créative et d’une force hors du commun. Il façonne donc son personnage et parvient à le rendre étonnement complexe et ambigu.D'un professeur  totalement intégré  dans la petite communauté de Harper, il va faire un  véritable serviteur du Diable. Le génie de Welles  reste de ne pas avoir montré  « une bête  féroce»  comme  l’aurait fait avec facilité beaucoup de scénaristes. Ici, Kindler  à l’apparence  d’un  humain, il  est apprécié de ses étudiants, il participe  activement à la vie de la cité en réparant, par exemple, l’horloge du clocher. Mais,lorsqu’il doit éliminer un ancien compagnon de route pour ne pas être démasqué, il n’hésite pas à l’étrangler de ses mains. Le sacrifié  (un ancien nazi évadé de prison) lui révèle même qu’il a été touché par la foi divine. Le Diable n’a d’autre solution que de réagir au plus vite. Ensuite, redevenant le bon professeur, il se rend à son propre mariage ! Cette double personnalité est subtilement  marquée. Côté jeu, le physique de Welles et sa voix  si grave, si envoûtante. Côté technique, il apparaît à la fois dans l’ombre et dans la lumière. Mais, pour faire exister son personnage il se doit de s’occuper   également  de son environnement. Dans un premier temps  nous découvrons la petite ville  à l’apparence si paisible et ses habitants. Ici, pas de pavés mouillés ni de voyous, mais des résidences  fleuries, et  de braves citoyens respectueux des lois .Le calme et la sérénité seront  bientôt troublés  par  ce qui ne doit pas être dit. Les bons paroissiens oublient quelques-uns des dix commandements et la peur de l’étranger  finit par l’emporter. Croyez-moi, la lutte du Bien et du Mal, façon Welles, vaut le détour. Quant à savoir  si la forme polar  y est sanctifiée, à quoi bon.
 Voilà, c’est tout pour ce soir. Ceux qui n’ont pas encore réglé leurs cotisations doivent le faire au plus vite  auprès de notre trésorier. A la semaine prochaine, sortez en silence.
Julius Marx

(1) La Politique des auteurs (Champ-Libre 1972)

jeudi 8 mai 2014

Diaboliques, oui.



L'une des grandes différences entre le cinéma d'hier et celui proposé aujourd'hui c'est assurément le montage. J'observai cette différence en visionnant l'autre soir les Diaboliques à la télévision. Dans son film, Clouzot prend  grand soin de lier les scènes entre elles avec, par exemple, des liaisons techniques (des enfants descendent les escaliers en courant / une malle glisse sur un autre escalier pour finir sa course sur le sol du grenier.) Mais aussi, en utilisant de  simples liaisons de logique dramatique ( quand un personnage dit "allons manger" nous nous retrouvons  illico au réfectoire.)
On peut remarquer également l'utilisation du son  ( musique ou un bruit particulier) pour clore une scène et entrer dans une autre.
Toujours côté montage, sans grue ni ordinateur, le cadrage est  essentiellement centré (si j'ose dire) sur les personnages. Sans utilisation abusive du champ/contre-champ ( du type je questionne, tu me réponds) l'auteur fait un effort  tout particulier pour contenir ses acteurs dans le cadre. Ici, le close-up évite bien souvent une réponse de l'intéressé.
Puisque, à n'en pas douter, nous suivons le travail d'un auteur, notons derechef le soucis de localisation. Dans les premiers plans du film, nous apercevons une borne kilométrique portant le nom de la ville où nous nous trouvons et, dans un autre plan bref, le nom de l'institution dans laquelle va se dérouler une grande partie du drame.Comme chaque plan est utile et n'a pas été placé là par erreur, nous apprécions beaucoup la petite flaque d'eau avec le bateau de papier,manifestement confectionnée par un enfant, qui flotte dessus. Notre excitation monte d'un cran encore, lorsque la roue de la voiture du directeur, qui vient d'entrer dans l'institution, écrase sans ménagement le bateau.
Un autre plan nous fait découvrir la piscine recouverte de feuilles mortes. A lui seul, ce plan nous en apprend beaucoup plus sur la situation présente de l'institution qu'un long discours.
Nous avons évoqué le montage et le soucis d'information, ajoutons les décors ( la chambre de la directrice de l'institution ressemble à une chapelle avec son confessionnal ) et les costumes avec ces nuances de gris qui s'affrontent.
Finissons avec les personnages que l'auteur a certainement imaginé ambigus et pour le moins mystérieux. Dans cette institution, personne n'est vraiment lisse et prévisible. On devine facilement que les professeurs, en fin ou en début de carrière, ont tous "ce désespoir dans le coeur et ces convulsions dans le gosier à cause de l'horreur des mystères qui ne peuvent pas être révélés," selon la formule chère à Edgar Allan Pöe.
Quant à l'intrigue, vous êtes déjà au courant.
Et après ça, vous voudriez que je vous parle de petits téléfilms ?
Soyons sérieux, voulez-vous.
Julius Marx


mercredi 9 avril 2014

Walk the line



Dans sa vie, le scénariste doit savoir que la question  "qu'est-ce qu'un bon scénario?" lui sera inévitablement  posée chaque semaine. Notre homme se doit  donc de  prendre toutes les précautions nécessaires, pour éviter l'exil, la ruine, et le déshonneur.
La réponse doit être claire, simple et à la mesure des attentes des ses différents interlocuteurs.
Un producteur de cinéma, par exemple, hochera doucement  la tête en essuyant ses verres de lunettes quand le scénariste répondra ( entre le fromage et la poire, dans ce trois étoiles au guide Michelin où   il vous a convié) " petit budget, deux comédiens seulement et pas de plans extérieurs". Il affichera même un large sourire, en ôtant délicatement la bague de son montecristo, lorsque son interlocuteur ajoutera, avant d'avaler une bonne lampée d'un  Calvados hors-d'âge," il faut juste faire preuve d'imagination, c'est tout!"
C'est à la cantine de son entreprise que le responsable du service fiction d'une grande chaîne nationale, en lui refilant des tickets de repas, écoutera  le scénariste lui répondre " c'est une histoire pour toute la famille. Avec de l'action (pas trop), du sexe, (pas trop) et de l'imagination, surtout beaucoup d'imagination."
Ensuite, devant le four micro-ondes, les deux hommes parleront longuement de publicité, de régimes amaigrissants et du département de Seine et Marne.
Pour les chaînes subventionnées, le scénariste sera convié à un brunch informel où il répondra probablement quelque chose comme " j'en ai aucune idée. Pourquoi vous me posez la question à moi?". Sa réponse provoquera l'hilarité générale et l'assistance se partagera les muffins ou autres beignets en gloussant et en avalant des quantités astronomique de café macchiato. Un jeune stagiaire laissera même tomber ses lunettes rouges dans le sirop d'érable.
Qu'importe, puisque tout le monde s'en moque et tourne des biopics. Profitons-en pour dire que Walk the line  (biopic basé sur la vie ô combien agitée de Johnny Cash) du réalisateur-maçon James Mangold  est insipide et plat. Nous conseillons à nos jeunes amis de visionner plutôt les concerts du grand Johnny sur Youtoube. (Eh oui, tout çà pour en arriver là !)
Ah, oui, j'oubliai. Voici ma réponse.
Un bon scénario, c'est un scénario de Prévert.
Travaillez là-dessus et on se rappelle très vite.
Julius Marx

lundi 24 mars 2014

Avec le temps (2)



On le sait, la fonction de la télévision est de communiquer seulement ce qui est familier. Pourtant, nous qui vivons sous d'autres latitudes et possédons décodeurs chinois et paraboles apatrides, avons le loisir de visionner sur des chaines francophones quelques films ressortis d'on ne sait quels placards. Même si le vent reste le maître du jeu en décidant, la nuit tombée, de martyriser notre matériel en l'envoyant visiter les quatre coins de la terrasse, nous pouvons nous intéresser depuis plusieurs semaines (avec la ténacité qui nous caractérise) à un cycle de films civiques des années 80. A l'évidence, la plupart de ces produits aux images bâclées et au sens univoque  ne méritaient pas d'être dépoussiérés, pourtant, nous visionnons, alors, pourquoi : lassitude, dépit, nostalgie, sénilité peut-être?
Le premier de la liste est Le juge Fayard dit le shérif d'Yves Boisset. Je me souviens qu'à cette époque on avouait volontiers au cours d'une petite sauterie et  avec un gobelet de sangria dans la main "je suis allé voir un Boisset". Généralement, cette petite phrase anodine ne manquait pas de provoquer quelques remous. La maîtresse de maison regrettait aussitôt de vous avoir invité et rejoignait sa cuisine en pleurnichant tandis que son cadre de mari expliquait l'utilité les mesures fortes du tout nouveau ministre de l'intérieur. Aujourd'hui, nous buvons des coktails vodka/ fruits rouges et nous savons que ces  films sensés traiter de "grands sujets" ne contenaient pas plus de réflexion que disons, le journal de France 2 aujourd'hui. L'intrigue du Juge, c'est un peu comme le Titanic, il y a les bons et les méchants, et puis, surtout, on connait la fin. Mais, le Juge est beaucoup moins long, moins nappé de confiture musicale, et il est joué par Patrick Dewaere.
Pour Un papillon sur l'épaule de Jacques Deray, c'est autre chose  et pour tout dire, une véritable énigme. Comment deux scénaristes comme Jean-Claude Carrière et Tonino Guerra sont parvenu à pondre un script aussi peu abouti? Jean-claude passe encore mais Tonino, le Tonino de Fellini !
Voilà notre personnage principal qui fait escale à Barcelone et qui se retrouve interné dans une clinique suite à un malheureux  quiproquo. Mais, pour son malheur (et le nôtre) cet homme ne s'appelle pas Kaplan.  Le Kaplan de North by Northwest dont on sait tout, ou presque, avant qu'il ne soit enlevé par deux individus armés. Dans North , nous sommes au coeur de la machination. C'est un peu comme si nous prenions part, nous aussi à la quête de vérité du personnage. Pour notre papillon, l'auteur (ou les auteurs) prend soin de nous tenir en-dehors au nom de je ne sais quel credo, quel dogme. Résultat, personne ne croit, pas même le principal intéressé, à cette foutue machination.
Dans La raison d'état , le cinéaste André Cayatte fait preuve de la même niaiserie. Ici, les méchants sont des politiques qui vendent des armes à d'autres méchants. Ce brûlot politique sensé dénoncer l'odieux trafic reste totalement dépourvu de réflexion. Il n'est  qu'un petit feu de camp autour duquel s'agite le  populaire et capable Jean Yanne.  Au moins, pendant ce temps-là trouvons-nous le plaisir intense d'admirer, de chérir, la déesse Monica Vitti. Nous oublions sur le champ les trublions qui gravitent autour de l'astre pour tenter de comprendre, une fois encore,  le truc  du "je ne suis pas tout à fait là".
Le reste est vain, inutile.
Le vent se lève.
Julius Marx

lundi 17 mars 2014

Remake



Avec son Wolf of Wall Street (Le Loup de Wall Street) Martin Scorsese nous offre le remake de son Goodfellas (Les affranchis) sorti en 1990.
Si l'intrigue des deux films est sensiblement la même ( un gosse de la rue, fasciné par le pouvoir de la mafia, finit par entrer dans l' organisation criminelle. Après l'apprentissage, c'est la  période faste de sa vie . Puis, viennent les ennuis et la prison. Il s'en sort en devenant indicateur pour les flics et finit son voyage dans un minable pavillon de banlieue ) les lieux différent. Mais, sont-ils vraiment si différents ?
 La Mafia et le monde de la Finance sont deux organisations avec des hiérarchies et des règles strictes, même si ces règles, comme toutes les règles, ne sont faites que pour être transgressées (dixit Flaubert).
Dans les deux versions, le jeune novice apprend donc les us et coutumes de la grande maison grâce à un  ancien, un maître chargé de l'initier. Ensuite, il aura le droit, lui aussi, de braver certains interdits et même de péter carrément les plombs. L'objectif commun reste de faire du cash et rien que du cash, et qu'importe les cadavres dans le coffre ou les petits épargnants qui se jette par la fenêtre.
Puis, vient le jour ou les épouses parfaites décident de partir avec les gosses ( c'est assez frappant de constater que les magnifiques scènes de ménage des deux films sont quasi identiques) suivies de très près par les avocats qui choisissent d'ôter leur ceintures et de descendre avant l'arrêt complet.
Enfin, lorsque ceux qui dictent les règles (banquiers ou parrains) décident que le jeu est terminé, on change de joueurs, on redistribue  les cartes et on imprime de nouvelles règles, de nouveaux billets de Monopoly. Les nantis désignent les poulets (qui, on le sait, ont pour mission première de faire respecter l'ordre du droit) pour se charger de la besogne. Si les  joueurs ont "la chance" d'être encore vivants, ils sont ré-expédies dans le monde d'en bas, avec ceux de leur classe.
Filmer ce jeu de société incroyablement pourri et malsain pendant plus de trois heures relevait du défi.
C'est terriblement féroce, mais il s'agit bien de notre monde mon cher monsieur et s'il ne vous plaît pas, vous avez toujours la possibilité de tirer une carte chance,mais sans la possibilité de repasser par la case départ, bien entendu .
Je vous quitte, mes amis ont besoin d'un quatrième pour la belote.
Julius Marx


dimanche 16 mars 2014

Histoire de parler


Elle : Si vous restez avec le capitaine, vous verrez bien quand il sera malheureux.
Lui : Oui, les gens malheureux savent toujours quand les autres sont malheureux.
        Sinon, ça serait  malheureux.

Le dialogue, dans le cinéma d'aujourd'hui, est une des disciplines qui m'attriste le plus. Lui aussi a bien entendu été contaminé par l'épidémie de réalisme que nous subissons depuis tant d'années. Dans un premier temps, avant de râler, tentons de définir le dialogue dans sa fonction. Vient-il, au secours de l'intrigue quand les faits sont impossibles à traduire en image, sert-il à tenir informé le spectateur en lui révélant, par exemple, que le personnage principal a attrapé la varicelle ou les oreillons à un âge avancé, ou alors, est-il simplement écrit  pour le plaisir des mots et de la langue? Et bien, chers amis, le dialogue est un peu tout cela à la fois. Vous comprendrez alors un peu mieux, je pense, pourquoi ce travail méthodique, rigoureux et poétique (non, ce n'est pas antinomique) manque aujourd'hui cruellement de têtes pensantes.
Dans le cinéma dit populaire, les auteurs se contentent de pondre quelques bonnes répliques, généralement reprise dans la bande annonce du film, puis complètent les cases manquantes avec un bavardage pauvre, ré-haussé d'une bonne dose de vulgarité.
Dans le cinéma pour auteurs subventionnés, le dialogue survit comme il peut, noyé dans une bande son violoncelle / bruits  ambiants de la rue  et sifflements stridents d'appareils ménagers. Dans ces chefs- d'oeuvres de réalisme, il n'est pas rare d'entendre, par exemple, le personnage décrire lui-même le lieu dans lequel il se retrouve, dans un soucis évident de clarté et de transparence. Ainsi, à l'homme debout sur le trottoir, devant la porte d'entrée d'une école primaire ( frontispice clairement visible dans le cadre) et au milieu de groupes d'enfants, la femme demande:" pourquoi est-tu venu nous chercher à l'école? "
Le "bon mot" et le monologue intérieur ne sont que des solutions de facilité. Le dialogue, dans un premier temps, se doit d'être informatif. Autrement dit, si tu n'as rien de nouveau à nous apprendre: ferme-la. Puis, une fois l'information donnée, il peut se laisser aller à un développement et une conclusion poétiques et, pourquoi pas, jubilatoire. Bien entendu, les paroles échangées par les différents personnages d'une fiction ne peuvent en aucun cas être assimilées à des conversations réelles.
Alors, poésie ou réalité, tout n'est qu'affaire de dosage.
Enfin, dans la plupart des films proposés aujourd'hui, relevons aussi l'uniformisation du langage. L'homme du peuple s'exprime comme le bourgeois, la femme de ménage espagnole, comme le banquier suisse (ou alors, leur texte, caricaturé à l'extrême, frise la xénophobie) et l'étudiant en troisième année de droit, comme un footballeur du bassin minier.
C'est que, justement, le dialogue a aussi comme fonction de caractériser le personnage. Revisionnez la plupart des scènes de la première séquence de La grande Illusion, notamment  les scènes de repas. Si vous n'arrivez pas à situer facilement les différents protagonistes, c'est que ma tante s'appelle mon oncle. En travaillant cette fonction particulière et efficace du dialogue on peut aussi inventer d'autres langues, comme la désormais célèbre novlangue d'Oranges mécaniques pour le personnage d'Alex et ses sbires.
Il est grand temps de couper, car voyez-vous, pour atteindre son but, le dialogue se doit aussi d'être bref et concis.
Fermez les guillemets.
Julius Marx
Image : Fernand Ledoux et Michèle Morgan dans Remorques (Jean Grémillon 1941)
Dialogue de Jacques Prévert.

jeudi 13 mars 2014

Nostalgie




-Tu m'en veux?
-Non. Toutes les femmes ont des défaillances, des moments de cafard, des petits siroccos personnels.
Annabella/ Jouvet
(Henri Jeanson-Hotel du Nord)







-Moi, mon rêve, c'est de dormir dans des draps blancs.
-Arrêtes de rêver, tu vas te casser la gueule.
Gabin/Aimos
(Jacques Prévert -Le Quai des Brumes)

vendredi 28 février 2014

Script-doctor



En qualité de script-doctor (j'aime beaucoup ce titre. J'imagine le toubib, stéthoscope  accroché aux oreilles, au chevet d'un auteur au bout du rouleau, prêt à se jeter par la fenêtre parce qu'il n'arrive pas à trouver la moindre motivation à son personnage principal) j'ai été amené à revoir quelques scripts ces derniers temps. J'officiai dans le cadre d'un concours organisé par deux centres culturels et réservé exclusivement à des étudiants en audiovisuel. Les petits malins des sévices culturels (non, il n'y a pas de faute) avaient choisi le thème du "couple" pour faire  un peu cogiter les jeunes. Le résultat s'est montré à la mesure du sujet. Considérant l'état actuel du pays, et en tenant compte des nombreuses promesses d'un avenir radieux assénées par les politiques, les gamins sociologues ont balancés sans la moindre retenue. Largement en tête, grand vainqueur aux points en quelque sorte : la  prostitution. L'explication est malheureusement assez simple. A ce jour, il y a tant d'hommes derrière les barreaux que le petit jeu des chanceux qui vivent sur l'autre rive est de se demander si l'épouse reste fidèle. Oui, je sais que la parité vient d'entrer dans la constitution, mais l'image de la femme demeure encore ce qu'elle était avant ce jour béni, n'en déplaise à Serge Moati (pas mal comme rime, non?)
En deuxième position arrivait la maladie. Sida, cancer et overdose, une manière somme toute assez  radicale d'abdiquer pour des jeunes entrant dans la vie active, selon la formule consacrée .
Et puis, pour clore ce chapitre douloureux n'oublions pas les deux ou trois petits malins qui ont mixé le tout en imaginant des intrigues où, par exemple, le rejeton, sur son lit de souffrance, réclamait une prostitué pour finir en beauté !
A la liste des nominés, ajoutons quelques maris trompés (toujours pas de femme) et un petit commando adepte du copié-collé vu sur le net. C'est inévitable, mon bon monsieur, l'Europe et son exception culturelle nous inspire tellement.
Bref, une sorte d'émission de télé-réalité bien pire que Tf1 et M6 réunis.
Je vous laisse libres d'imaginer les heures de labeur du script-doctor, le stéthoscope planqué dans sa poche, maudissant ces fonctionnaires zélés (en les traitant souvent de colonialistes, c'est vrai, je l'avoue) et leur foutu sujet imposé, se demandant même s'il n'allait pas se jeter par la fenêtre ouverte.
Sachez bien que si je ne suis pas passé à l'acte c'est uniquement  parce qu'il me plaisait d'imaginer les visages effarés de ces mêmes fonctionnaires de l'état en recevant ces projets.
D'ici là, imaginez que je sourie.
Julius Marx

lundi 17 février 2014

Musique classique




Ce qu'il y a de bien avec les classiques c'est que ,à force de visionnage, on connait maintenant l'intrigue sur le bout des doigts et qu'il nous arrive  même de réciter les dialogues avant les acteurs.
C'est le cas pour  La grande Illusion de Jean Renoir, une pièce maîtresse du cinéma français.
On peut donc s'attarder sur un point précis du contenu pour tenter de comprendre le travail du scénariste et du réalisateur.
Vous connaissez tous le sujet de ce film (un autre avantage des classiques, pas besoin de recopier un résumé de l'intrigue) tourné juste après le front populaire et ne précédant la deuxième  guerre mondiale (je n'ai pas écris seconde, on ne sait jamais) que de quelques années.
Nous allons donc étudier plus précisément les personnages. Si tous sont en uniforme, on ne peut pas parler d'uniformisation. Chaque groupe de ce collectif  est admirablement caractérisé. Ainsi, les ouvriers, les intellectuels ou les nobles, ont une manière bien particulière de porter l'uniforme, de se coiffer, de fumer, et surtout, bien entendu, de s'exprimer. Nous remarquons, par exemple, le képi sur le côté pour Maréchal-Gabin ( tête de liste du groupe des travailleurs) le  mégot au bord des lèvres et la gouaille des faubourgs pour Carette, le comédien, alors que les hommes de la haute  ( De Boëldieu et Von Rauffenstein) sont sanglés dans leurs uniformes, portent des gants blancs, fument des cigarettes anglaises et s'expriment même, lorsqu'ils abordent des sujets "délicats", dans la langue de Shakespeare. Ces dialogues de Spaak et Renoir sont une pure merveille d'efficacité car ils apportent un nombre considérable d'informations et une poésie rare, même si leur côté improbable peut faire hurler un de ces forcenés du réalisme.
A coup sûr, ce travail sur le personnage permet aux spectateurs de partager, de communiquer, avec les différents protagonistes. Bref, si ce processus d'identification n'existe plus aujourd'hui que dans un nombre très restreint de film c'est peut-être, tout simplement, par un manque évident de travail.C'est sûrement  aussi pour cette raison que nous nous demandons si souvent en visionnant les productions actuelles: quelle peut bien être la motivation de celui-ci ou de celle-là?
Ensuite, pour finir la soirée en beauté, j'ai regardé un télé-film policier...
Ah ! Ah! Ah!...
Julius Marx

vendredi 31 janvier 2014

Avec le temps...


The Ghost and Mrs.Muir est un film sur le temps. Le temps qui passe et, comme dit l'autre, ne se rattrape jamais.
Nous sommes au début du 20 e siècle. Après la subite disparition de son mari, et la lecture du testament tout juste achevée, Mrs. Muir annonce aux deux tantes acariâtres du défunt qu'elle les abandonne pour changer de vie. Mrs.Muir est à la recherche d'une vie rêvée et exagérée, bref, d'une vie plus proche d'un grand roman d'aventures que d'un classique de Dickens.
Son  voyage initiatique va débuter dans une demeure en bord de mer que l'on dit hantée par le fantôme de son ancien propriétaire le capitaine Daniel Gregg.
Le génie du réalisateur Joseph L.Mankiewicz c'est d'avoir transformé cette histoire divertissante ( qui  a d'ailleurs été tournée plus tard sous la forme d'une série télévisée, c'est dire si, au départ, elle n'était que divertissante) en une magnifique réflexion poétique sur le temps et l'horloge de notre vie. La jeune femme va se montrer digne d'entrer dans la vie  proposée par le capitaine Gregg. Ensemble, ils vont parcourir les océans, visiter le grand monde et ses  habitants. La critique a vu dans ce film une lutte entre le réel et l'irrationnel, mais on peut y voir aussi une opposition entre la réalité et la  fiction (non, ce n'est pas la même chose!) La fiction, c'est la victoire de l'extraordinaire sur la banalité, du beau sur le laid, de la création sur l'ordre établi; bref, toutes ces choses subtiles qui font que l'on reste vivant.
Et si vous pensez que ma passion pour Gene Tierney m'aveugle, vous avez raison.
Julius Marx






lundi 20 janvier 2014

Des nouvelles du Diable



Si  Touch of Evil (que l'on pourrait traduire par la trace, l'empreinte, ou la main du Diable !) est un grand film Noir, c'est bien parce  que son contenu  s'articule essentiellement autour de la lutte que se livrent le Bien ( un avocat idéaliste) et le Mal (un flic totalement corrompu).
La  séquence de présentation nous fait découvrir la ville, de nuit. C'est une cité qui s'amuse et le chaland peut facilement jouer, boire ou monter dans la petite chambrette d'une jolie dame pas farouche pour un pesos pour y finir sa canette en toute décontraction. On comprend aussi que la majorité des établissements où l'on vient se détendre gentiment appartient à la pègre locale, combattue justement par notre personnage principal (Heston/l'avocat). Comme le privé,  il cherche à rétablir l'ordre du droit en luttant contre la corruption instituée par une grande famille.
Cet homme est dangereux pour le clan et les politiciens à leur solde parce qu'il met en péril la survie de leur société et non pas comme dans une stupide série policière télévisée où le tueur transgresse simplement les règles de l'ordre social.
Il faut donc le remettre dans le droit chemin et ceci, par tous les moyens à  disposition.
Le principal homme de main du clan est un flic en état de décomposition avancée (Welles/Quilan).
Welles qui a toujours fabriqué des personnages hors du commun, des monstres  à ego démesuré se sert donc du vieux Hank Quilan pour symboliser à lui seul, ou presque, ce que cette société peut avoir de sordide et d'ignoble.
La justice et l'arbitraire s'affrontent donc et la caméra est tour à tour disposée dans un camp et dans l'autre. Ce qui explique peut-être cette vision au-dessus , et aussi la magnifique volte-face de l'objectif au coeur de  la fameuse scène où un agresseur lance du vitriol  au visage de l'avocat.
Comment ne pas parler également de l'ultime scène où Quilan agonise au milieu des détritus, tout comme le héros du linceul(1) avant lui.
Le combat est féroce et l'on peut remarquer que si le flic se décompose  au fil des scènes, à tel point que l'on s'attend à le voir expirer à chaque instant, le jeune avocat reçoit tant de coups lui aussi (au propre comme au figuré) qu'il devient amer et aussi sombre que l'image!
Il sait qu'il ne redressera pas le tort général de ce monde,et vous aussi, non ?
Julius Marx




(1) Un Linceul n'a pas de poches (série Noire)

lundi 6 janvier 2014

Bonne année !



Pendant cette nouvelle année, nous aurons parfaitement le droit de comparer le film Drive de Nicolas Winding Refn  et They Live by Night de Nick Ray. Affirmer qu'avec une intrigue construite avec les mêmes valeurs polar, le film  de Refn tourne en rond sur le périf de Los Angeles en refusant ouvertement le conflit pendant  que celui de l'étincelant Ray nous sidère par son étonnante construction, ses acteurs fragiles et sa maîtrise calculée.
Il ne sera pas interdit également de préférer la totale  Kurosawa période noire  aux lamentables séries télévisées avec leurs personnages incohérents de type clowns-killers, leurs stupides dialogues et leurs mises en scènes clipées.
Nous prendrons aussi  le temps de décortiquer plan par plan un classique de Lang ou de Welles comme l'amateur de crustacés  sans nous soucier le moins du monde de la bouffe insipide et congelée servie dans les boutiques outrageusement colorées de la grande distribution.
Au rayon sucreries nous choisirons les actrices  et pas les miss-météo à forte poitrine (même si les gros nichons nous troublent encore.)
Nous refuserons en bloc tous les biopics et autres tristes réalités vendus au rayon promo.
Nous nous battrons pour le développement du commerce équitable et ses  petits producteurs courageux. Nous aimerons pendant que les autres consommeront.
Et puis, lorsque le désespoir nous gagnera, nous visionnerons encore Chico et Harpo arnaquant Groucho avant le grand départ vers l'Ouest.
Bref, on ne changera rien.
Julius Marx