mardi 30 décembre 2014

Corpulence et morbidesse



Période des fêtes, temps des cadeaux.
Ce qui suit, est pour vous ;  cinéphiles.
Que l’année qui s’annonce nous apporte émotion et bonheur, ou bien seulement l’impression.
Et surtout, prions pour ne pas devenir aveugles.
Julius
Oui, c’est bien Henri Butron qui s’exprime dans ces lignes. Haineux, terriblement haineux.




« Au bout d’un moment, entre l’Amiral.
Je n’ai jamais pu l’appeler autrement, ce doit être l’ambiance des bateaux dans les litrons, en plus il porte une sorte de costume croisé à boutons dorés, j’ai l’impression qu’il est amiral voilà tout.
C’est un Nègre énorme, la corpulence et la morbidesse de Welles dans «  Touch of Devil », une grosse belle tête cylindrique à cheveux crépus blancs et barbe idem, de gros yeux, à la Welles jeune dans « Macbeth » cette fois. Montagne de chair. Très haute. Bien plus grand que moi qui suis pas petit. On vit en contre-plongée perpétuelle avec ce gustave.
Je n’ai jamais su l’histoire de l’Amiral. A vue de nez, il approchait la cinquantaine, encore qu’avec les Nègres, c’est difficile à chiffrer. Donc il avait dû avoir une vie, qui était encore derrière lui à présent. Je le voyais pas militant, il avait trop l’air amiral. En même temps, pas chefferie traditionnelle, il semblait tellement occidentalisé. Ce qu’il évoquait le plus, négritude mise à part, c’était un révolutionnaire sud-américain revu et corrigé par Hollywood avant que les Amerloques fassent des complexes au sujet de Cuba. Ceux qui ont vu « Bandido » de Richard Fleisher me comprendront, il avait, l’Amiral, un style à la Gilbert Roland, multiplié par plusieurs quintaux de viande, et noir, et quinquagénaire, avec un zeste d’El Supremo dans « Capitaine Sans peur » de Walsh. Bon, ça évoque pas grand-chose qu’un sacré bordel. J’ai dû mal m’expliquer.
En tous les cas, bref, j’ai jamais cherché à savoir sa vie. Faut laisser sa part au rêve, pas vrai ? quand ça risque pas de vous coûter de l’argent.
L’Amiral s’avance vers moi. Sa démarche évoque le vacillement des temples en proie aux premières trémulations séismiques, dans quelque début de cataclysme antique. Ses gros yeux roulent et me jaugent. Les deux faux tueurs l’encadrent, prêts à le soutenir et à l’approuver, me regardant fixement d’une façon vitreuse.
-Anicet Goyésmith n’est point là, dit-il.
-Je reviendrai, dis-je.
Mais je ne bouge pas.
-C’était à quel sujet ? demande l’Amiral. »
Jean-Patrick Manchette
L’affaire N’Gustro

(Série Noire)

mardi 16 décembre 2014

La cité des femmes


Il semble bien que la série Un village français soit un succès, tant mieux. Pour les amateurs (ou bien ceux qui ont un peu de temps, mais les amateurs se doivent d’avoir toujours un peu de temps en réserve) il serait judicieux d’aller un peu fouiner dans les archives télévisuelles afin d’y dénicher une série avec des acteurs  aussi justes et sobres, un filmage aussi soigné et une écriture si  maîtrisée, oui, judicieux, sûrement.
Côté technique, ce qui frappe, c’est le grand soin accordé aux détails. Cet ensemble de « petits riens » qui révèle un tout, une diégèse. Ainsi, par exemple, voyez comme les membres du groupe des résistants qui passent la majeure partie de leur existence dans les forêts, sont vêtus. Ils portent bien le costume adéquat mais, ils ne sont pas impeccables, comme le sont trop souvent les personnages d’opérette dans d’autres séries. Et, il en va de même pour les coiffures, ceux de l’autre camp (qui ont forcément le temps de se raser et de se peigner avec la mèche sur le côté comme l’oncle Adolphe)  sont en totale opposition avec ceux qu’ils combattent. Si vous pensez que ces deux exemples parmi tant d’autres ne sont que des détails, vous voyez juste. Le cinéma Est détail.
Si l’on a le temps nécessaire pour s’intéresser également à l’intrigue et au contenu (le spectateur avisé doit toujours garder un peu de temps pour s’intéresser à l’intrigue et au contenu sous peine de finir par s’abonner à une revue spécialisée)  nous  constatons que  les deux sont vraiment passionnants à analyser. L’intrigue, tout d’abord, est divisée en un nombre étonnant de plusieurs histoires que nous suivons de manière parallèle ( grâce, entre autre, à un montage élégant). De personnage principal il n’y a point et nous ne le regrettons jamais, car ces destins croisés parviennent facilement à nous le faire oublier.
L’autre aspect novateur de la série c’est bien d’avoir confié les clefs de la maison à des femmes. Elles sont toutes fortes et puissantes (dans le sens scénaristique du terme)  symbolisant même à elles-seules les différentes opinions si contrastées de cette époque mouvementée. Alors que la plupart des personnages se demandent encore ce qui leur arrive « et reçoivent seulement des coups sur la tête, comme d’une main invisible » (Hegel) elles agissent pour un amour, un idéal, ou peut-être bien les deux.  De là à prétendre qu’elles sont, dans leurs différences,  la France, il n’y a qu’un pas. Affirmons encore que nul n’est plus qualifié que les femmes de ce monde-ci pour connaître mieux que d’autres le point de vue des victimes.
 Je suis enchanté. J’espère que vous l’êtes aussi.

Julius Marx