Abidjan.
Tiers monde. Dans cette ville, les trois-quarts des habitants vivent dans la
rue et ne peuvent s’abriter que sous des baraques croulantes. Mais, Dieu merci,
il y a la Sainte parabole. Grâce à elle et aux feuilletons diffusés sans
interruption sur le petit écran, le peuple peut garder le contact avec les
grands de ce monde ; ceux qui vivent dans de somptueuses demeures hollywoodiennes avec des salons aux
dimensions de terrain de foot, des cuisines équipées par la Nasa et des salles de bains de nababs aux allures de thermes romains. Pourtant, avec un
peu de persévérance et beaucoup de doigté, on peut vaincre l’agresseur sitcom
et finir par échouer sur une chaîne spécialisée dans le cinéma d’action ou le
polar.
Alors,
pendant que la pluie entrera dans sa chambre malgré la fenêtre close, on pourra
s’extasier une fois encore sur le travail de l’opérateur Arthur Edeson pour Mutiny on the Bounty
de Lewis Milestone et on versera
une larme pendant que Monsieur Christian agonisera sur la plage. Entre deux coupures d'électricité, on retrouvera La
proie des vautours de john Sturges où l'on s’étonnera de découvrir Frank
Sinatra (avec un petit bouc sur le menton et un drôle de chapeau australien sur
la tête) découper du japonais dans la jungle birmane pendant que Charles
Bronson colle un bourre-pif à un jeune blanc-bec qui a osé le traiter de
peau-rouge. En visionnant cette scène de
Patrouilleur 109 de Leslie H.Martinson, on restera pour le moins
perplexe en entendant la réplique d’un marin yankee philosophe fixer l’horizon et lancer en direction de son pote à côté de
lui: « que d’eau ! hein ? »
En finissant d'éponger l'eau, justement, sur le sol, on insultera
la canaille de réalisateur qui a dirigé le grand Eddie Constantine dans Nick
Carter et le trèfle rouge, l’obligeant à mouiller son trench-coat sur une plage
du plat pays. On respectera Michael Caine (en élégant costard trois-pièces,
est-il besoin de le préciser ?) pendant qu’il distribuera pruneaux,
marrons et autres friandises sans jamais perdre son flegme dans le film La
loi du milieu de Mike Hodges.
Enfin, on fera ses prières pour que la parabole ne s'envole pas pendant l'orage qui s'annonce. Gloire à toi Sainte parabole et à tes chaînes câblées, même si elles s’obstinent à diffuser les films en
version française. Dernière minute : ma fille cadette vient de m’informer qu’il existe
probablement un bouton sur ma
télécommande pour visionner les programmes en version originale. Mais, nous
sommes séparés de plus de 5000 kms. Bon sang ! Que la vie est devenue triste, subitement.
Julius Marx
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