mardi 21 janvier 2020

Série B





(Article publié dans l'excellente revue "L'indic")


Quelqu’un a écrit (je crois que c’est Fritz Lang dans le bouquin de Lotte Eisner ) qu’un créateur devait absolument brûler quelque chose pour faire correctement son boulot. Et Lang sait de quoi il parle puisque à peine débarqué de l’Allemagne nazie pour son premier film américain (Fury-1936) il égratigne méchamment les bons citoyens croyant pouvoir se passer de démocratie.
Ce préambule pour vous parler de Murder by Contract (Meurtre sous contrat-1958) de Irving Lerner. Ce film, très agréable à visionner au demeurant, c’est un peu l’exemple antinomique de la réflexion de Lang. Il nous raconte la brève carrière d’un hitman (tueur à gages). Dès la première scène du film où l’ homme se prépare à sortir nous comprenons, principalement grâce son comportement, (gestes méthodiques, pas la plus petite trace d’émotion sur son visage un peu comme le Parker de Westlake ) que nous avons à faire à type très déterminé. Oui, mais, déterminé à quoi ? Cette question se résout dès la deuxième scène où il se rend à un rendez-vous d’embauche.
Finalement recruté par le milieu, Il va remplir plusieurs contrats en donnant entière satisfaction à ses employeurs jusqu’à celui qui le mènera à Los Angeles et à sa perte, par la même occasion.
Bref, nous avons là une assez bonne description de ce genre de spécimen qui fleurit aujourd’hui dans notre littérature et notre cinéma. Mais, c’est un peu mince tout de même.
De ce personnage principal, nous n’apprenons rien, ou presque, de sa vie ou de ses motivations. La seule info disponible reste que l’homme veut se payer une belle maison au soleil. Caractérisation très incomplète du héros si l’on pense au While the city sleeps de Fritz Lang , sorti deux ans auparavant. De ce tueur appelé le Lipstick-Killer on apprend tout ,ou à peu près, ( car vous savez maintenant, amis lecteurs, qu’un personnage doit toujours conserver une part d’ombre, même si elle reste infime). Lang prend surtout grand soin de nous présenter ce personnage dans son environnement et aussi de nous parler de sa psychologie (très complexe, bien évidemment). Ensuite, il est beaucoup plus facile d’accompagner l’homme dans sa quête et du même coup, tenter de comprendre pourquoi une société dite « idéale et démocratique » peut engendrer de tels monstres ?
Voici donc les limites d’un film dit de série B ; un script le plus souvent habilement ficelé, et c’est tout. Aucune recherche particulière, pas de combat, pas de prise de position.
Beaucoup de spectateurs vont de suite me siffler en me hurlant dans les oreilles que le public a besoin de série B. Que voulez-vous ? Leur répondrais-je, un bon divertissement ou bien quelque chose d’un peu plus relevé qui nous pousse, nous, spectateurs, à réfléchir ? Pour ma part, je voudrais les deux. Peut-être suis-je trop gourmand, après tout.

Julius Marx



(1) Je me dois de vous signaler que (d’après celui qui a mis en ligne ce film ) c’est un des films préférés de Martin Scorcese. Je ne suis pas allé lire ce qu’il en pense. Si je me suis trompé, et bien tant pis ! L’amateur que je suis trouverai si délicieux de ne pas être du même avis qu’un maître .

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