Je me souviens de la cinémathèque de Chaillot.
C'était l'époque des vestes de
tweed avec des pièces aux manches. La veste de tweed était très chic. Du
moins, on pensait tous que cela faisait chic et surtout intellectuel. Dans
le hall de la cinémathèque de Chaillot il était très important de passer pour
un intellectuel, un vrai penseur du cinéma. Le genre de type qui connait la
totalité des plans d'un film majeur et qui se sent capable d'en
discuter de longues heures avec un autre type très chic vêtu d'une autre veste
de tweed avec des pièces aux manches.
On pouvait croiser également les
porteurs de bouquins. Généralement des boutonneux aux cheveux gras,
avec sous leurs bras les ouvrages spécialisés racontant la vie et les films de
Kurosawa, Welles ou Lang. Le porteur quadrillait le hall en fixant les chics
types en veste de tweed, à travers les carreaux de ses épaisses lunettes, avec
une expression qui voulait dire : "j'ai abandonné mes lectures juste le
temps du film, ensuite, je repars dans ma chambre de bonne."
Mais, les porteurs et les vestes de tweed étaient tous d'accord sur un seul point : rosser sur le champ les raconteurs s’il se manifestait dans la file d’attente.
Mais, les porteurs et les vestes de tweed étaient tous d'accord sur un seul point : rosser sur le champ les raconteurs s’il se manifestait dans la file d’attente.
Le raconteur était celui qui la
ramenait toujours en prétendant que la version projetée cet après-midi-là était
nulle. Bien entendu, lui avait eu la chance de visionner la vraie version
et il était prêt à vous la raconter, ainsi que les relations tendues entre le
couple vedette du film et le réa (en ce temps-là, on disait déjà le réa, c’était
aussi très chic.
Enfin, il y avait ceux que l'on
appelait les clodos (et ça, ce n’était pas très chic de notre
part.) Homme ou femme déjà âgés portant des vêtements élimés et qui n'étaient
attirés dans ce lieu ni par le nom du réa ni par celui de sa vedette mais
plutôt par le prix modique de l'entrée et surtout le chauffage de la salle.
C'est là, assis dans un fauteuil
défoncé entre un clodo qui n'avait pas changé de chaussettes depuis des mois et
un porteur qui s'est mis à ronfler dès les premiers plans du film, que j'ai vu
pour la première fois The postman always rings twice (Le Facteur
sonne toujours deux fois) de
Tay Garnett (le vrai, celui de 1945) d’après James Cain.
En sortant de la salle, les
différents groupes avaient l'habitude de se réunir pour se plaindre du
projectionniste, du chef-opérateur du film, du scénariste ou du programmateur
coupable d'ignorer le premier court-métrage de X ou Y. Moi, j'ai tout de suite filé
chez un bouquiniste pour acheter « Le facteur ».
A propos de Cain, on sait que la plupart de ses romans sont articulés autour du personnage de la femme fatale. Il exploite ce thème avec de nombreuses variantes mais la finalité est toujours la même : la passion mène à la destruction. Pourtant il serait stupide de limiter l'auteur à cette seule diégèse. Cain a été aussi un des premiers à placer son récit du point de vue du coupable. Son personnage porte souvent le deuil d'un rêve américain et le récit de son voyage n'a rien à envier à un écrivain comme Steinbeck, par exemple.
Citons aussi "Double Indemnity" (Assurance sur la mort) adapté par Billy Wilder. Mais, mon préféré reste "Sérénade". Encore une histoire de passion autour du chant et de l'Opéra qui débute au Mexique. Ah ! Le chapitre ou les deux fugitifs capturent un iguane pour le manger cru, un délice ! Si vous ne connaissez pas encore James M. Cain, allez-y, vous ne risquez rien, aujourd'hui, les vestes de tweed sont cachées au fond du placard avec des boules de naphtaline dans les poches, les porteurs lisent sur internet et les clodos ne vont plus au cinéma. Il paraît que les places sont devenues trop chères.
Nostalgique, moi ?
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