Ce que l’on a communément pris l’habitude
de nommer le septième art
n’aura existé en fait qu’une petite dizaine d’années tout au plus avec Griffith
et Von Stroheim. Il s’achèvera avec Welles, qui livrera, avec son Citizen Kane, un magnifique « résumé »
émotionnel et technique de ces années de recherche et de création.
Ensuite, il sera remplacé par le réalisme
hollywoodien (que nous aimons particulièrement dans ce blog). Puis, quelques
auteurs adroits le feront survivre quelque temps encore. Puisqu’il est (et
doit être) le fidèle reflet de la réalité, sa vie s’achève donc avec la triste
réalité.
Pendant toutes ces années d’acharnement
thérapeutique, des auteurs différents (dans leur langue et leur culture) ont
tous tentés de renouveler les formes
sans jamais changer le fond.
En s’attaquent ainsi de front aux
principes de la narration cinématographique ces petits malins restaient tous
persuadés de faire preuve d’originalité alors qu’ils n’ont fait que saccager
les fondations, oubliant du
même coup que l’originalité ne peut se retrouver que dans leurs personnages ou
leur mise en scène.
Prenons un exemple précis pour
tenter de mieux comprendre ce gâchis. Alfred Hitchcock nous parle, dans ses
entretiens avec François Truffaut (1), du fameux Tangible Stake, que nous
traduirons par la raison valable.
Pour exister dans l’intrigue et de fait, la faire évoluer, un personnage doit
toujours avoir une raison valable, c’est-à-dire une raison crédible et évidente
de se lancer dans une recherche, une quête, une vengeance, etc…Grâce à cette
raison, clairement énoncée dans l’intrigue, le spectateur trouve donc les
moyens matériels et intellectuels d’accompagner le personnage principal dans sa
quête. Il comprend sans peine qu’Ethan Edwards le personnage principal de The Searchers de John Ford doit
absolument retrouver ses deux nièces, miraculeusement épargnées dans le
massacre de leur famille par un groupe d’indiens renégats. Pour lui, c’est une
question de vie et de mort et c’est surtout ce qui va donner un sens futur à
son existence. Ses actions, ses choix et ses interrogations seront donc
partagées par l’ensemble des spectateurs.
Aujourd’hui, ce même spectateur, totalement
exclu de l’intrigue, recherche désespérément un détail, un mot, une action, qui
lui permettrait de comprendre pourquoi diable ce type ou cet autre, se lance
dans un combat aussi fou.
De cette raison valable et de tant d’autres
choses encore, nos « auteurs » contemporains s’en moquent,
manifestement plus préoccupés par les mouvements téléguidés de leur grues
pilotées par nos amis les ordinateurs, comme des enfants gâtés jouant avec leur
cadeau de Noël. Les plus intelligents d’entre eux, sentant que la forme est
légèrement bancale, nous collent çà et là quelques explications en voix off ou de très beaux
dialogues incohérents, voir même une image sensée tout expliquer, remplissant
de fait leur œuvre d’un nombre inimaginable de clichés rebattus. Ce curieux paradoxe, engendré par cette
fichue modernité, ne semble pas les empêcher de poursuivre dans cette voix.
Quant aux autres, ils livrent leur
marchandise brute aux supermarchés qui se chargeront de la promotion et de la
vente du produit, en l’alignant, après de savantes analyses de marketing , sur leurs têtes de gondoles, à côté des lessives
ou des barres chocolatées. Ce sont eux qui ont raison, car de tout cela, le
spectateur moderne s’en fiche totalement.
Julius Marx
(1) Hitchcock/Truffaut, ou Le
Cinéma selon Alfred Hitchcock, communément surnommé le « Hitchbook »,
est un livre de François
Truffaut, paru en 1966 aux
éditions Robert
Laffont. Il est principalement constitué d'un entretien entre Alfred Hitchcock et François
Truffaut. Après la disparition de Hitchcock, le 2 mai 1980, François Truffaut
complète la première édition avec une préface et un ultime chapitre sur les
derniers films du « Maître du suspense », mêlant à la fois analyse et
anecdotes.
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