On parle
beaucoup du merveilleux. Encore faudrait-il s’entendre et savoir ce qu’il est.
S’il me fallait le définir, je dirais que c’est ce qui nous éloigne des limites
dans lesquelles il nous faut vivre et comme une fatigue qui s’étire
extérieurement à notre lit de naissance et de mort.
Il y a une
erreur qui consiste à croire que le cinématographe est un art propre à mettre
en œuvre cette faculté de l’âme. L’erreur provient d’une hâte à confondre le
merveilleux et la prestidigitation. Ce n’est pas grande merveille que de sortir
une colombe d’un chapeau. La preuve en est que cette sorte de tour s’achète, s’enseigne
et que ces miracles d’un sou suivent des modes. Ils ne révèlent pas d’avantage
du merveilleux que l’algèbre, mais en offre une apparence frivole et plaisante,
de moindre fatigue pour l’esprit. Est-ce dire que le cinématographe ne peut
mettre en la main une arme capable de dépasser la cible ? Non. Mais s’il
en est capable, il l’est au même titre que les autres arts dont on tâche de l’exclure
parce que sa jeunesse le rend suspect dans un pays (la France) où, sauf s’il s’agit
d’en défendre le territoire, on ne le prend pas en considération.
Le
cinématographe a cinquante ans. C’est, hélas, mon âge. Beaucoup pour moi. Fort
peu pour une muse qui s’exprime par l’entremise de fantômes et d’un matériel
encore en enfance si on le compare à l’usage de l’encre et du papier.
Jean Cocteau
In La difficulté d’être (1947)
Image : Le sang d'un poète (1932)
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