Amis du
ciné-club, bonsoir. Ce soir nous allons parler ensemble de Miller’s
Crossing le film de Joël et Ethan Coen, deux petits gars sacrément futés.
A l’heure ou d’autres abandonnent images et montage aux ordinateurs ou tentent
maladroitement de bousculer les règles narratives, les frangins ont choisi
d’œuvrer dans le classique référentiel. Dans l’entreprise Coen Bros,
fondée en 1982 avec Blood Simple, (1) tout
est propre et soigné, utile et efficace. Voyons maintenant les quelques points
principaux qui assurent la réussite de ce film sanctification. L’intrigue se déroule à l’époque bénie de la
prohibition, dans une ville sous l’emprise de deux clans rivaux où les
politiciens, les flics et les journalistes ne sont que des pantins pathétiques
entre les mains de gangsters. (2)Chaque gang
tente de s’approprier le territoire et les profits de l’autre en distribuant
sans compter marrons, pruneaux et autres friandises. L’histoire s’ouvre (et se
refermera) au carrefour de deux routes (Miller’s Crossing), un joli
petit coin de nature où l’on vient régler ses comptes, entre hommes, à l’abri
des regards indiscrets. Ce charmant petit bois, c’est un peu la maison isolée
d’Eddy Mars(3), le motel où se réfugient les amants
fugitifs Keechie et Bowie, (4) l’usine de produits chimiques qui voit périr Cody
Jarrett dans les flammes.(5)C’est un lieu hors du temps, du monde, du tumulte de la
ville, où tous les conflits doivent fatalement se régler.
Comme dans
la plupart des films du tandem le point of view choisi est une vision au-dessus des
événements. Les plans d’ouverture(6) nous
montrent le chapeau d’un homme emporté par le vent, puis la cime des arbres.
Nous comprenons assez vite que l’homme, que l’on fait certainement glisser dans
le sous-bois en le tirant par les pieds, n’a pas perdu son chapeau par hasard.
Nous avons donc un plan extérieur et un plan (en vision subjective) de l’homme
qui contemple la cime des arbres, en pensant probablement que c’est la dernière
fois qu’il peut jouir d’un tel spectacle. Le vent est une autre composante
importante de cette introduction. S’il
fait avancer le chapeau au rythme d’une lancinante musique (7), il viendra aussi ponctuer chaque séquence (ou
chapitre, si vous préférez) du film. A vous de découvrir quand et comment, car
futés, vous l’êtes, vous aussi, à n’en pas douter. Bien entendu, nous
retrouverons également ce chapeau dans la scène de conclusion.
L’instant
poético-structurel dépassé, nous entrons maintenant dans le vif du sujet avec la
première séquence et la découverte des différents personnages qui vont
s’affronter dans ce drame shakespearien. Leur confrontation s’articule à partir
d’un meurtre puis d’une trahison. Il s’agit de savoir si le fils adoptif du caïd du gang irlandais a trahi son père ou
non… Shakespearien, vous dis-je !
Pour les
autres personnages, sachez que le fils entretient une relation plus qu’orageuse
avec la belle Verna, une poupée qui a vraiment du chien. La scène qui nous la
montre s’en allant seule dans cette rue, la nuit, d’un pas mal assuré sur
l’asphalte luisant, comme une marionnette suspendue à des fils invisibles, est
aussi émouvante que la scène finale des Nuits de Cabiria qui
n’est pas un polar mais bel et bien un chef-d’œuvre tout de même. Le frère de
Verna, Bernie le traître, est aussi
pleutre qu’un Elisha Cook Jr(8) et le garde du corps du caïd italien, Eddy le Danois, aussi
dangereux, balafré et imprévisible que le Tony Camonte de Scarface.(9)
Finissons en visionnant ensemble, une fois encore (je ne
m’en lasse pas) la scène de l’assassinat manqué du caïd irlandais par deux
tueurs, avec ces plans montés sur la musique
du Londonderry air. C’est tout bonnement époustouflant ; Ah ! Mes amis, quel
rythme, quel bonheur !
C’est
vraiment trop d’émotion, je n’en puis plus… laissez-moi seul.
Julius
Marx
(1) Expression que l’on attribue à Dashiell
Hammett et qui peut se traduire par « celui qui perd la tête à la vue
de trop de sang »
(2) Chacun
peut bien entendu établir une relation évidente
avec le Red Harvest
de Dashiell Hammett, véritable œuvre fondatrice du roman noir. Citons
comme seule adaptation cinématographique vraiment sérieuse Yojimbo (Le Garde du corps)
d’ Akira Kurosawa (1961)
(3) The big sleep (Howard Hawks-1946)
(4) They live by night (Nick Ray-1949)
(5) White Heat (Howard Hawks-1949)
(6) Scène
d’introduction devenue véritablement culte si on en juge par le nombre
d’amateurs qui proposent leur propre version sur Youtoube.
(7) Composée par Carter Burwell
(8) Elisha
Cook Jr, acteur américain, véritable archétype du faible sans aucune volonté que
l’on peut voir entre autre dans The Maltese Falcon de John
Huston-1941, The Big Sleep d’Howard Hawks, martyrisé par Bogart,
et en mari trompé dans The Killing-Stanley Kubrick-1956.
(9) Scarface (Howard Hawks-1932)
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