Salut à vous, ô grands amateurs du noir et blanc, des caramels mous et du bâtonnet glacé. Pour cette séance, nous osons nous attaquer à Stanley Kubrick en tentant d’en savoir un peu plus sur son film The Killing (L’Ultime Razzia- 1957). Oui, nous osons, parce que sur ce metteur en scène adulé par le peuple des cinéphiles tout ou presque a déjà été dit, écrit, filmé etc…(1)
Nous n’avons
pas la prétention d’expliquer une fois de plus les modes expressionnistes de la claustrophobie,
l'agoraphobie, le déséquilibre, la lutte contre l'hystérie spatiale sonore,
l’utilisation de masques effrayants et
outranciers figés propres à l’univers des héros
kubrickiens, ni même d’explorer la folie destructrice du cerveau humain (certes,
l’ensemble des pages de cette revue ni suffirait pas). Nous allons
seulement nous occuper de nos affaires en discutant sagement ensemble, et en
prenant bien garde de ne pas nous emporter, de ce beau film, bien fait, bien
noir.
The Killing
signifie quelque chose comme « tuerie »(2) .Ce titre n’est pas anodin et
contient déjà une vraie promesse. De façon négative ou positive, nous en
déduisons qu’il va y avoir du sang, et de fait ; des espoirs déçus, des
vies brisées, bref : un beau gâchis. Et le sang, mes amis, c’est bien le
suc du film noir, sa substance, ce qui persiste au milieu du changement et le
rend compréhensible. On peut également y ajouter le noir et blanc. A ce propos,
un ami chef opérateur m’a dit un jour
que l’image noir et blanc était beaucoup
plus facile à composer que l’image couleur. Qu’importe, le noir et blanc
reste à jamais l’âme du film noir. Ce chef opérateur reste mon ami, même s’il
n’a pas compris le sens ma réponse.
La première
séquence nous présente Johnny Clay, un
gangster qui après avoir purgé une peine de prison pour vol à main armée, veut
tenter le dernier coup (rien de moins que de dérober la recette d’un champ de
courses) avant de laisser tomber définitivement la profession. Oui, je sais
que vous avez certainement déjà lu cette situation de départ dans les romans de
Maître Cain, de JimThompson (l’écrivain
est crédité au générique comme l’auteur des dialogues) ou dans le mythique They
Don’t dance to much de James Ross(2). Votre remarque est juste. C’est bien à ce genre de
roman avec ce type de héros désabusé qui sait pertinemment que dans cette société injuste, le pauvre n’a d’autre choix que de
se soumettre, que le film de Kubrick me fait penser. Johnny Clay constitue son équipe. Il recrute un flic
endetté, un barman avec une épouse nécessitant des soins coûteux, un caissier
affligé d'une pin-up sur le retour insatisfaite
qui rêve de devenir une femme de la haute, un tireur d’élite et un vieux poivrot sympathique. S’il
subsistait un doute dans notre esprit, nous avons maintenant la certitude
qu’avec ces recrues, l’entreprise, même si elle parvient à voir le jour, ne pourra
que finir mal. Si, dans un premier
temps, le hold-up se déroule comme prévu, la suite est catastrophique. Les erreurs
vont s’enchaîner (Johnny ira même
jusqu’à acheter une vieille valise qui ferme mal pour planquer l’argent !)
Nous n’avons jamais vraiment l’impression qu’il ne cherche à arrêter cette mécanique infernale.
Il est bel et bien seul, totalement
dépassé par ce monde qu’il ne comprend plus, et à qui il n’oppose que sa force
brutale. Voilà encore un des traits caractéristiques d’un personnage de James
Cain. Je trouve aussi très intéressant dans ce film l’utilisation du son. Certaines
séquences étant véritablement commentées par une voix off très
journalistique, proche de celle du speaker du champ de course. Nous avons
l’impression que ce narrateur omniscient observe faits et gestes des
personnages de toute sa hauteur en nous mettant en garde si, d’aventure, nous
avions nous aussi l’idée de sortir du rang pour tenter un coup du même genre.
Mais alors,
quelle différence entre ce film noir de Kubrick et une bonne série B, par
exemple ? me demanda un jour un
autre ami grand amateur de polar, alors que nous vidions ensemble une
bouteille de Château Pradeaux 1976. Le contenu, mon cher, le contenu,
fût ma réponse. Le Kubrick a une âme, l’autre seulement une structure. Avec son
premier film noir Kubrick montre qu’il a assimilé les codes et les valeurs
morales du polar même s’il s’inscrit déjà dans la liste (devenue longue
aujourd’hui) des films « hommage » à une époque, un genre. Devant sa
mine défaite, j’ajoutai encore ceci : c’est un peu la différence entre ce
magnifique vin que nous partageons ce soir et un Chardonnay californien.
Cet ami est toujours mon ami, même s’il lui arrive encore quelquefois d’acheter
du vin californien.
N’écoutez
surtout pas ce qu’on vous raconte : l’abus de contenu ne nuit pas à votre
santé.
Allez en
paix.
Julius
Marx
( 1)
Pour les amoureux du papier glacé, un seul
bouquin à conseiller : Stanley Kubrick, de Michel Ciment (Calman-Levy)
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