"D’abord un visage d’une femme jeune, Lucy Muir (Gene
Tierney), son expression, une attente presque lucide de l’inattendu. Un décor :
la mer ; une côte ; un cottage à louer hanté par une présence
surnaturelle. J’ai toujours eu un faible pour le surnaturel, et quand je dis
toujours, c’est parce que cela dure depuis
mon enfance. Aujourd’hui j’avoue que j’ai cultivé ce faible, qui sans
aucun doute cache un désir, une attente quelque part dans le subconscient. Une
situation de solitude soudaine, un deuil, un entourage hostile, produisent une
atmosphère étouffante pour cette femme si ouverte à la lumière de la vie. Quand
j’ai vu le film pour la première fois j’ai compris que rien n’est plus concret,
je dirais plus physique, plus charnel que l’émotion et je ne me suis pas
trompée car voyez-vous, plus de trente ans plus tard, il me suffit d’évoquer
quelques images du long métrage pour ressentir un état d’exaltation tel que
celui qui m’avait envahie à sa vision.
L’arrivée dans la maison, la découverte du portrait d’un
homme de mer, un capitaine qui semble jauger celle qui le regarde, déclenche en
elle un sentiment de défi probablement dû à sa jeunesse et sa féminité. Il faut
dire que l’homme en question, le capitaine Gregg, est incarné par Rex Harrison,
un détail qui ne laisse pas indifférent. Toute la maison est habitée par cette
présence. Un télescope marin près d’une baie vitrée du salon pour scruter la
mer, les tempêtes, le ciel, les nuits étoilées…
Un jour, pourtant, la vie immédiate, à portée de la main,
appelle à la porte du cœur de la jeune femme, et à partir de là, la présence du
capitaine s’éclipsera jusqu’à une fin que probablement ni elle ni le spectateur
ne prévoyaient. Une fin surnaturelle qui en même temps rend l’histoire
croyable. Mais loin de moi de vouloir dévoiler ce moment final et définitif. Je
crois que souvent les grandes rencontres sont un peu la conséquence d’une ample
absence."
Dominique Sanda
Cahiers du Cinéma
N° 700 (Mai 2014)
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